Mis en chantier et tourné bien avant le succès d'" Intouchables", "Hasta la vista" ne peut être taxé d'opportunisme, même si on peut penser que Claude Lelouch avait sans doute en tête la carrière européenne du film de Nakache et Toledano quand il a décidé de distribuer en France ce film flamand. Pour Geoffrey Enthoven, ce projet vient de loin, puisqu'il avait réalisé durant ses études un documentaire sur un tétraplégique souffrant d'atrophie congénitale, au cours duquel il l'avait longuement interrogé sur sa vision de la vie, du mariage, de ses rêves. C'est en voyant un documentaire anglais sur le quotidien de plusieurs handicapés qui décident de faire un voyage entre potes qu'il a eu l'idée de ce scénario.
On le sait depuis " Little Miss Sunshine" (j'ai découvert après avoir écrit cette référence une interview d'Enthoven où il raconte avoir projeté ce film à toute son équipe), les road movies en combi pourri sont porteurs de situations favorables au comique, par l'opposition entre le huis clos qui exacerbe les tensions (renforcées ici par la dépendance motrice) et les rencontres aléatoires appelées à bousculer les rapports établis. De ce point de vue, "Hasta la vista" ne présente aucune surprise, bien au contraire, et ce caractère éminemment prévisible des principales péripéties constitue une des faiblesses majeures du film, l'autre étant l'absence d'épaisseur des personnages, au-delà de leur handicap et d'un trait de caractère par personne : l'amertume de Phillip, la peur de Lars, le refus du conflit de Jozef.
Le thème de la sexualité des handicapés est réduit à une approche digne des comédies de Philippe Clair ou de Robert Thomas : l'obsession de perdre son pucelage, et ce n'est pas parce qu'ils sont handicapés qu'on va se sentir obligé de légitimer un comportement aussi strauss-kahnien. Certes, Jozef montre qu'il existe une autre façon de construire sa vie affective, mais cette insistance à filmer des comportements de puceaux en rut dignes des pires films des annes 70 finit par être assez éprouvante.
Heureusement, il y a des choses intéressantes dans les marges de ce film : une mise en valeur quasi burlesque des effets du handicap de chacun : Jozef qui n'arrive pas à fermer sa valise ou qui manque de se faire écraser dans la première minute de sa fugue, ou le comportement de chauffard rageur de Philip dans son fauteuil motorisé. Le personnage de Yoni, la petite soeur de Lars (jouée par la jeune Kin Desart, déjà vue dans "Lost personns area", de Caroline Stubbe) réussit à susciter l'émotion, par son ingéniosité de petite peste à couvrir la fuite de son grand frère.
Et puis, il y a l'utilisation de la querelle linguistique consubstancielle au plat pays dans le coeur même de l'intrigue. L'infirmière-conductrice de rechange est francophone, et suscite chez Philip cette remarque flamingante : "Ils veulent bien de notre pognon, mais pas question de parler flamand !" Jozef le médiateur parle le français, et traduit dans les deux langues, jusqu'à une scène où excédé par le comportement puéril de ses amis, il prend des libertés avec la traduction, évocation de Begnini dans "La Vie est belle"... Et puis, au fur et à mesure que tombent les préjugés, les langues se mélangent, avec l'ajout de l'anglais et de l'espagnol, à l'image de la Belgique d'aujourd'hui.
"Hasta la vista" manque à la fois d'épaisseur et d'unité, et ne présente pas la force et le charme d'"Intouchables". Pourtant, il porte aussi en lui le brouillon du bon film qu'il aurait pu être, et permet après "La Merditude des choses" et "Bullhead" de poursuivre l'exploration de cet autre cinéma belge.
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