D’entrée de jeu on nous prévient: "Ceci est la version courte et censurée de Nymphomaniac de Lars Von Trier. Ces coupes ont été réalisées avec le consentement du réalisateur, mais il n’a pas participé à leur finalisation". Mince alors, on vient de payer pour voir un film qu’on ne nous permet pas de découvrir dans les conditions voulues par le réalisateur. On se permettra donc une réflexion assassine et méprisante envers l’industrie cinématographique actuelle, et contre la censure, avant de finalement se plonger dans le nouveau film du réalisateur Danois, -connu pour ses nombreux scandales et provocations, dont un qui lui a valut le statut de persona non grata au Festival de Cannes-, très controversé car vulgairement vendu comme un porno. Mais que les plus sceptiques se rassurent, il était plus qu’évident que le sexe ne serait pas réellement au cœur du film, et que Nymphomaniac est tout sauf un porno. Réduire le film à quelque chose d’aussi grossier, ce serait faire preuve d’ignorance envers le cinéma de Von Trier, qui est, il faut quand même le reconnaître, assez spécial, mais qui va beaucoup plus loin que ce que les bandes-annonces laissaient croire, et ce même en version censuré. Donc non, découvrir Nymphomaniac en version censuré n’est pas forcément un sacrilège, car malgré ses nombreuses coupes, qui se ressentent cependant beaucoup (coupes brusques et grossières, parfois même pendant les dialogues, à cause de plans qui manquent), le film présente déjà de sacrés allures de chef d’oeuvre, ce qui en dit long sur la version complète de Von Trier. Et au final, la seule chose qui restera frustrante après la séance, c’est que le film ait été coupé en deux. Mais là encore, on pourra trouver des arguments en la faveur de cette séparation, puisque ce premier volet est déjà sacrément dense, et riche, et que prendre un peu de recul dessus ne peut être que bénéfique pour mieux l’apprécier, et apprécier la seconde moitié, qui, d’après les extraits du générique de fin, s’annonce tout aussi folle. Car oui, ce qui rend Nymphomaniac si singulier et mémorable, c’est bien la folie de Lars Von Trier et son sens de la mise en scène hors du commun. Si le rythme du film est lent, notamment à cause du parti pris de faire raconter l’histoire par une voix off (Charlotte Gainsbourg, que l’on entend plus qu’on ne la voit), le film reste passionnant du début à la fin car il est pourvu de cette capacité à se renouveler sans cesse, et de façon originale. Ainsi, chacun des cinq premiers chapitres a sa propre ambiance, son propre parti pris de mise en scène, et son propre ton (on navigue entre drame, gags, et parfois même caricature), tout en gardant une certaine cohérence. Et puisqu’il faut bien en parler, parlons donc du côté sulfureux de l’oeuvre. Effectivement il y a du sexe, de la nudité, et c’est parfois assez trash. Néanmoins, dans cette version là, on ne se retrouve jamais devant quelque chose de gênant ou de grotesque, comme cela était le cas par exemple dans La Vie d’Adèle et sa longue scène de sexe lesbien. Le sexe ne paraît jamais gratuit, car il s’inscrit parfaitement avec le thème et le contexte du film, soit une femme qui raconte sa nymphomanie, qu’elle s’est d’ailleurs auto-diagnostiqué, et surtout parce qu’il n’est jamais utilisé à outrance. Il est d’ailleurs remarquable de voir à quel point le travail d’écriture au niveau du scénario a été soigné et réfléchi par Von Trier, qui prends le temps de développer ses personnages, et son thème qu’il illustre d’ailleurs par de très belles métaphores, ou comparaisons, qui là encore peuvent passer de la poésie au gag en fonction des chapitres. Enfin, la dernière et grande force de Nymphomaniac, c’est son casting, et la découverte surprenante de Stacy Martin, une jeune actrice, avec énormément de charme, que l’on découvre pour la première fois à l’écran, dans un rôle clairement difficile à aborder, mais pour lequel elle s’est complètement lâchée. En second, vient la performance d’Uma Thurman, dans un chapitre teinté d’un humour noir particulièrement jouissif, dans lequel elle fait une crise d’hystérie tellement exagérée, mais aussi tellement poignante, que derrière les quelques bons et francs rires que l’on laissera échapper, se cache un fort sentiment de bouleversement dû à l’empathie que le ridicule de la scène offre au personnage. Et enfin, dernière mention spéciale pour Christian Slater, que l’on voit peu, mais que l’on avait pas vu exceller de la sorte depuis le chef d’oeuvre de Tony Scott en 1993: True Romance. Alors finalement il est assez difficile de noter et de porter un jugement définitif sur cette première partie de Nymphomaniac, puisque le film n’est tout simplement pas complet, et de plus, il est présenté dans une version raccourcie et censurée. Néanmoins, il se trouve que le génie de Lars Von Trier arrive quand même à briller de plein feu malgré toutes ces entraves à son travail, et que sa mise en scène crève d’originalité et d’inspiration. Le fait que le film se renouvelle à chaque chapitre maintient l’intérêt que l’on porte à l’histoire de cette femme, qui passe par plusieurs tons sans jamais trop s’enfermer dans le drame, pour un résultat certes clairement haché, mais qui dégage de sacrés allures de chef d’oeuvre, que la seconde moitié et la version d’origine du réalisateur viendront sans doutes confirmer. On se retrouve à la fin du mois pour la suite.