Nymphomaniac fait parti de ces quelques films sur lesquels tout le monde a déjà un avis avant même de l'avoir vu (je ne déroge pas à la règle et j'avoue volontiers que j'étais pour défendre le projet.) Nymphomaniac est pourtant un film fonctionnant quasi uniquement sur le contraste et la nuance. Ainsi, Lars von Trier remet à leur place d'une manière très élégante et gentleman tout ceux qui l'accusaient (à grand tord) d'excès et de provocation ultime.
L'intro du film est une succession d'images poisseuses, humides, glauques, finalement très Tarkoskiennes (que LVT ne manque pas de remercier dans le générique de fin) dans l'esprit, introduisant directement une ambiance très particulière, à la limite du morbide.
Le film débute également par un jugement tout ce qu'il y a de plus extrême de la part de Joe sur elle-même ("I'm a bad human being"), jugement que Seligman va tenter de contraster quelque peu, persuadé que le mal incarné n'existe pas. Seligman occupe bien évidemment la place du personnage/spectateur, celui à qui l'on raconte et qui sait écouter, mais qui malgré tout ne se prive pas de donner son avis, de faire une sorte de critique en direct (ou d'auto-critique si on se place du point de vue de LVT) de l'histoire et de la manière de narrer de Joe... En gros, une critique du film Nymphomaniac.
Le premier chapitre (intitulé The Compleat Angler) est également le premier d'une longue liste de comparaisons/métaphores surexpliquées mais amusantes que LVT fait avec Joe. En l'occurrence, celle de la pêche à la mouche.
Nymphomaniac étant le récit de la vie de Joe de 2 à 50 ans, la première partie de l'oeuvre couvre donc logiquement et de manière mathématique la vie de Joe de 2 à environ 24 ans. La partie de l'enfance est assez vite ellipsée pour arriver directement au premier rapport sexuel de Joe. Forcément, moment attendu, voir redouté par le spectateur. Mais la grosse surprise c'est que LVT fait passer cette scène comme une lettre à la poste en utilisant habilement un élément qu'on ne lui connaissait que très peu ; l'humour. Car oui, Nymphomaniac est drôle et fait esquisser quelques sourires, voir même parfois quelques rires francs et non cachés de la part du public. Là est probablement le premier contraste de Nymphomaniac ; l'humour et le malaise, ou l'humour et la tristesse.
Quelques scènes de sexe cru et une fellation dans le train plus tard, Joe annonce que le chapitre 2 (intitulé Jérôme) sera beaucoup plus porté sur l'amour. Il s'agit là encore d'un autre contraste qui deviendra encore plus flagrant quand, au milieu de gros plans explicites de pénétrations, LVT réalise une scène toute droit sortie d'une mauvaise comédie romantique où Jérôme (Shia LaBeouf) apparaît à Joe tel un prince charmant devant le soleil (ce qui d'ailleurs pose quelques problèmes à Seligman au niveau de la cohérence de l'histoire. En effet, lui qui a quasiment trouvé un film par terre en bas de chez lui (à ce niveau là, on est pas loin de parler de found footage), il s'attend quand même à ce qu'il soit d'une certaine qualité.) Par ailleurs, ces retours à une quasi omniscience qui nous rappellent sans arrêt que nous sommes devant un film sont très fréquents. Le fait de donner une lucidité quasi permanente au spectateur est extrêmement bien vue car entraînant automatiquement une relativisation du malaise ressenti pendant la projection.
Le chapitre 3 (ou plutôt le chapitre de Uma Thurman) fait une transition tout simplement parfaite entre l'humour distant et l'ironie amère des deux premiers chapitres et le pur drame du chapitre 4. Uma Thurman, assez méconnaissable, y joue un numéro à la fois comique, cynique et dramatique, parfait en tant de chapitre central de cette première partie.
Le chapitre 4, Delirium, est donc lui totalement dramatique et particulièrement émouvant, racontant l'agonie du père de Joe avant sa mort. Ce chapitre, interlude noir et blanc au milieu d'un film en couleurs (là encore un très beau moment de contraste), est probablement le plus dérangeant de tous et, pourtant, il me semble que c'est le seul à ne contenir absolument aucun plan explicite de sexe. Ah, qu'il est malin ce Lars, toujours en train de nous taquiner ! D'ailleurs, selon moi, la véritable provocation de LVT n'est pas dans les scènes de sexe, ni même dans les gros plans explicites, mais bien dans tout ces petits détails qui nous rappellent sans arrêt qu'il y a un Lars avec le mot "FUCK" tatoué sur le poing derrière la caméra (le dialogue sur le prénom juif de Seligman ou encore l'apparition quasi inexpliquée au milieu du film des trois/quatre même plans dits "d'arrières-plans Windows" au milieu de Melancholia.)
Si le chapitre 3 était la parfaite transition entre humour et drame, le cinquième et dernier chapitre de cette première partie (au nom délicieux de The Little Organ School) est lui le parfait mix, le parfait contraste entre le sexe cru et la tendresse, la baise et l'amour. Le tout s'achève et vient se confirmer au moment précis où LVT décide de superposer le Bach de la scène de fin et le Rammstein du générique.
Si l'on peut par exemple regretter le fait que Lars von Trier ait totalement abandonné le style jump cut au profit d'un montage beaucoup plus classique, ainsi que d'une caméra beaucoup plus stable (mais qui offre également de superbes images et une sorte de mélange des formes que je trouve, pour ma part, particulièrement plaisant), Nymphomaniac est une grande réussite, un film audacieux, travaillé, touchant, bien loin des étiquettes "érotique" ou "porno" qu'on aimerait lui attribuer, et qui, loin de rabaisser l'image de la femme, lui offre une sorte de grâce et de frénésie (les hommes, obnubilés par leur désir de chair, sont beaucoup plus à plaindre que les femmes dans ce film.)
On ne peut souhaiter qu'une seule chose pour la seconde partie, c'est qu'elle continue dans cette direction. Adoptant le teasing propre aux séries TV américaine (il ne manquait plus que la voix grave annonçant "Next mounth, in Nymphomaniac") rappelant que le film a également bénéficier d'un travail marketing très très malin, Lars von Trier nous laisse quasi la bave aux lèvres. On meurt d'impatience, tel un junkie en attente de sa dose... Ou d'une nymphomane en attente de sexe.