Il paraît que le temps efface toutes les cicatrices. Il paraît. Une décennie s'est écoulée depuis que Alvin Straight a vu son frère pour la dernière fois. Dans sa routine de septuagénaire, entre os cassés et parties de poker, un coup de tonnerre retentit, suivi d'un coup de téléphone. Ce frère perdu, presque oublié, vient d'avoir un malaise cardiaque. C'est sa fille qui le lui annonce, celle qui s'occupe de lui depuis tant d'années, celle dont les problèmes de diction ne cache qu'une débauche d'énergie et d'attention. C'est alors en regardant ces étoiles dans le ciel qu'Alvin décide de retrouver leur aspect scintillant, de retrouver son frère. S'ensuit un projet aussi fou qu'ambitieux, aussi touchant que dangereux, partir sur les routes et couvrir la distance jusqu'à la maison de son frère avec une tondeuse à gazon. Des centaines de kilomètres, de l'asphalte à n'en plus pouvoir, des repas de fortune, mais surtout un amour impérissable.
Ce voyage se dessine donc avec beaucoup de douceur, accompagnant le début des moissons, dans une atmosphère estivale qui abat ses voiles orangées sur ces vastes paysages, aux teintes dorées à perte de vue. Entre béton et belle étoile, il s'engage sur les routes, ou plutôt sur le bord des routes, avec l'insouciance d'un gamin et la motivation d'un homme mûr. Ce qu'il y a de merveilleux avec le récit de David Lynch, c'est qu'il ne traite pas son personnage, aussi vieux soit-il, comme un vulgaire pantin, comme c'est le cas dans beaucoup de film évoquant la vieillesse. Son personnage est dynamique, drôle, aventurier et mobile. Ce ne sont ni ses deux cannes, ni ses problèmes mécaniques, qui vont l'empêcher de faire son dernier grand voyage, peut-être le plus important de sa vie. Car outre d'être un voyage à la course aux retrouvailles, c'est aussi une sorte de voyage initiatique, on pourrait même parler de pèlerinage, de purification, mais les mots seraient trop forts et inadaptés. À travers toutes les rencontres qu'il fait sur son chemin ressort toujours un thème phare : la famille.
Je n'apprends rien à personne en disant que le film traite du thème familial. Que ce soit dans la rencontre avec cette adolescente, perdue sur les routes, qui lui rappelle sa fille. Ces cyclistes, jeunes et sûrs d'eux, qui apprennent malgré eux la réalité du temps qui passe. Ce vieil homme, qui sympathise d'emblée avec Alvin, se remémorant les souvenirs honteux de leur vie militaire, chassant les démons du passé autour du "dernier verre". Cet homme qui accueille Alvin chez lui, se prenant d'affection si vite et si intensément qu'une forme de figure paternel fantasmée doit se glisser derrière. Ou encore ce prêtre, rencontré en bout de chemin, concluant ce florilège de rencontre, comme pour lui dire : C'est bon, tu peux y aller. Ces rencontres sont faites à base de liens forts, plus ou moins éphémères mais qui rappellent toujours l'importance du partage et de l'ouverture à l'Autre.
En plus d'être une incitation à l'aventure fraternel le film aborde la nostalgie, les regrets, sans que le discours ne devienne trop pénible. Tout est dans la subtilité, dans l'utilisation de l'espace filmique et dans les sous-entendu, pour transmettre cette émotion qui ne semble jamais exagérée ou omniprésente. C'est l'histoire toute entière, dans sa composition globale, dans ces quelques personnages, qui devient touchante, en plus de se révéler comme étant racontée avec beaucoup de tendresse, tant dans les dialogues, les musiques ou les images. J'ai particulièrement été touché par la fille d'Alvin, dont on ne comprend pas trop les peines au début, mais qui, une fois révélées, s'avèrent poignantes.
Une histoire vraie est donc une espèce de road movie rejoignant un road spirit qui dépasse les contraintes du temps pour apporter cette fraîcheur estivale, comme un léger coup de vent à la fin des moissons. Poétique, artistique et sensible, il n'oppose aucune limite à ce vieil homme qui redécouvre la vie, la famille, les étoiles.