Qui prétendra que The Straight Story n'a rien d'un film de Lynch se méprend à mon avis dans les grandes lignes sur le réalisateur américain. Plus encore que dans Elephant Man, qui demeurait par trop convenu pour me plaire, c'est surtout dans Twin Peaks que transparaissait l'humanisme qui se déploie avec douceur sur ce road-movie. La veine grotesque dans laquelle il sympathisait avec les personnages de sa merveille de série - et qu'on retrouve ici par bribes dans la fille d'Alvin Straight ou d'autres personnages secondaires - désarmait parce qu'elle les enveloppait dans un pathétique qu'elle paraissait pardonner aussitôt, parce qu'elle prenait dans ses bras maternels et lavés de tout jugement leurs explosions hystériques et maladives. Le traitement paraissait empreint d'un amour illimité pour ses personnages, les accompagnant avec souplesse, sans autre intervention que sa présence amicale sur un récit de toute façon indomptable. Il en est de même dans Une histoire vraie, celle d'un homme condamné à mourir rapidement et qui ne rachètera pas plus ses fautes passées que des années de sursis, mais avance vers son frère et la paix intérieure avec une tranquillité intouchable. A travers le bruit rutilant d'une société qui le dépasse (le camion dont le passage fait tomber son chapeau), aux côtés d'une jeunesse qu'il ne connaîtra plus et ne peux que guider avec une maladresse sincère (la jeune femme enceinte), Alvin Straight file droit sur la route de sa vie, dans un lâcher-prise salvateur qui ne s'occupe plus de s'accrocher là où il sait ne plus avoir la force de tenir mais se recentre vers ce dont il compris qu'au fond, il avait besoin. C'est là toute la beauté de The Straight Story, son acceptation sereine de ce qui ne peut plus nous blesser dès lors, justement, qu'on le laisse glisser sur nous. Je pense, par exemple, à un fondu qui laisse s'évanouir le tracteur-tondeuse du personnage pour libérer la puissance rutilante d'une moissonneuse-batteuse. Alors qu'on vieillit et que l'illusion de pouvoir la dompter est bien loin derrière nous, la vie peut paraître énorme et dévorante. L'image, pourtant, est contemplative, balayée par un lent mouvement de berceuse à la poésie apaisée. Alors qu'il pourrait devenir dépressif, et qu'il maintient d'ailleurs la mort dans une proximité que la conscience ne peut ignorer, le mouvement du film va justement à contre-courant, remontant le fleuve de la vie comme sans effort, parce qu'il en a dépassé les lois et s'est offert aux côtés de son personnage l'impunité modeste de celui qui sait que tout se trouve en soi. Lynch fait passer cette acceptation douce par des procédés très simples, comme ces plans répétés sur des soleils rougeoyants, visions non pas du crépuscule mais de l'aurore, comme la manifestation ralentie mais toujours aussi poétique d'un matin qui se lève pour la dernière fois. Jamais abusive dans ses moments d'émotion, portée par un Richard Farnsworth lui-même au crépuscule de sa vie, l'oeuvre coule lentement vers un estuaire qui nous restera d'ailleurs à peine ébauché, le temps de quelques phrases échangées entre deux frères qui se retrouvent, parce que cette histoire est la leur et que c'est à nous, désormais, d'imaginer la nôtre.