Marina, la trentaine, vit une existence plutôt confortable, apparemment sans histoires. Mais cela n'est que façade : mal mariée à un homme d'affaires faible à tout point de vue, confrontée au quotidien avec la violence ordinaire (elle est psychologue scolaire, et les parents qui battent, voire abusent leurs enfants, se succèdent dans son bureau - impuissante, elle est de plus en plus désenchantée face à ces "monstres" - dont elle découvrira avec horreur sur le tard une variété que son empathie naturelle ne pouvait lui permettre d'imaginer), elle est en mal de repères et de sens à donner à sa vie. Le hasard va lui faire croiser à deux occasions rapprochées Andreï, un policier en tenue au comportement de bête fauve : après un prologue où elle n'est que témoin auditif d'un premier viol en réunion dont il est l'auteur, elle sera à son tour victime des mêmes exactions, la malchance (et un talon cassé) l'ayant fait s'égarer dans une banlieue sinistre où elle entame sa propre descente aux enfers. La souillure sert de déclencheur à la jeune femme : en se donnant l'occasion de retrouver son violeur, elle se vengera pense-t-elle, et de la façon attendue croyons-nous, en la voyant briser une bouteille et se glisser derrière le flic dévoyé dans l'entrée de son immeuble. La suite cependant, éminemment dérangeante, est très loin d'être prévisible !
Ce "Portrait au crépuscule" (beau titre, à double sens, comme on le découvre vers la fin du film) est confondant de noirceur, à la fois par la fiction proposée (l'étrange romance de Marina et Andreï) et par la toile de fond du drame : la Russie d'aujourd'hui, gangrénée sans appel par la corruption et le traditionnel alcoolisme, la Russie ici périurbaine et populaire (mais la "bourgeoisie", le milieu d'origine de l'héroïne, ici en arrière-plan, n'est guère plus reluisante !), que sa caméra montre non pas avec voyeurisme, mais avec une précision glacée de documentariste.
Acteurs inconnus chez nous (et même amateurs pour la plupart) impressionnants (surtout le couple improbable central - Olga Dykhovitchnaia/Marina étant aussi co-scénariste et co-productrice), mise en scène tendue pour atmosphère étouffante : belle première réalisation au récit fort et maîtrisé pour Anguelina Nikonova, si "russe", dans ses excès-mêmes (quand Bien et Mal réalisent ensemble une chorégraphie contre nature et fascinante). Récompensé dans déjà 6 festivals, ce film, malheureusement distribué confidentiellement, est à découvrir.