Il est curieux de se rendre compte qu'Andy Muschietti n'a pas évolué de son premier long-métrage, Mama, à son dernier en date, Ca : Chapitre 2 : il repose toujours son horreur sur une pléthore d'effets numériques plus ou moins glauques, et bien plus réussis du début de sa carrière au versant commercial de son art. Mama, tiré de son court métrage éponyme, est une production signée Guillermo Del Toro qui possède, comme principale qualité, sa photographie réussie donnant lieu à des plans d'une grande beauté.
A l'image des films de l'ami Guillermo, Mama, loin d'être un film d'épouvante pure, se tourne rapidement vers le conte au travers d'une histoire d'enquête à révélations qui laisse la part belle à l'amitié, à l'amour parental ainsi qu'à cette belle morale familiale qui évolue de belle manière sur fond de drame et de rédemption. Pour imager son histoire riche en symbolisme et séquences marquantes, Muschietti fait appel à une photographie souvent monochrome, jaune en intérieurs sécures, bleus quand il y a danger, avec une gestion de la lumière et des ombres très réussie (et qu'on retrouve avec un grand talent dans le premier Ca).
C'est au lancement suffisamment brutal pour qu'on soit décontenancé par ce que l'on voit : ces couleurs, tout droit sorties d'un comics ou d'un conte dessiné, coupent avec tout réalisme et inscrivent l'oeuvre dans une ambiance fantastique absolument sublime, dont le point d'orgue sera la créature, aérienne et désarticulée, qui oscille dans l'air avec une poésie surprenante du fait qu'elle n'est représentée qu'en effets spéciaux.
Plus simples, plus modestes que pour le reste de sa carrière, ces effets numériques ne sont pas envahissants du fait que les gros plans sur Mama sont rares (si ce n'est absents), au contraire de sa duologie Ca dans laquelle le monstre était balancé en pleine face du spectateur comme recours horrifique. La photographie, d'un talent constant fascinant, pose une ambiance qui fait oublier la grande présence de ces effets spéciaux qui, en d'autres conditions et par moins de talent, auraient clairement gâché les scènes d'horreur marquantes que l'on peut y trouver.
De ce conte horrifique surgit donc une beauté formelle trouvant un écho dans les thèmes touchants rebattus : car Mama, comme son titre le laissait astucieusement deviner, parle des responsabilités des mères trop jeunes ou des mères qui ne l'ont pas choisies, des autres psychotiques tout de même aimantes que la mauvais sort aura conduit à sa perte, et aura faîte revenir pour se venger.
D'un côté, Jessica Chastain au look underground, écartée entre son instinct maternel, l'amour qu'elle porte pour ces deux enfants recueillis par Nikolaj Coster-Waldau (toujours aussi charismatique), et son mode de vie marginal qui lui dicte de rester refaire le monde autour de ses amis du même milieu social. Entre la belle maison où faire jouer des gosses et le local studio crasseux où l'on ne discerne plus la batterie de la basse, ni même de la guitare, que choisir?
C'est là qu'intervient, comme en guise de motivation d'évolution de vie, Mama; présente du début à la fin, elle incarne le passage du deuil de la mère des enfants aux retrouvailles avec une famille aimante, certes pas biologique mais bien plus importante et responsable que leurs précédents parents. Celle que l'on croyait au départ éminemment mauvaise révèle son côté humain (les fantômes démoniaques ne sont pas tous des monstres salauds de Conjuring) et l'intrigue commence à graviter tout autour d'elle; entre enquêtes, scènes de révélation dans la maison, course-poursuite et dialogues qui ne portent plus que sur elle, elle est le véritable protagoniste du film, et c'est elle qui par son amour pour ces deux enfants les mènera sur la voie qui leur convient le mieux.
Chastain serait ainsi le personnage secondaire, bien devant Nikolaj Coster-Waldau; à une époque où l'on se complait à remplacer des hommes par des femmes, des femmes par des femmes, à tout changer dans une idée de modernisme vicelard ou de progressisme de marketing, Andy Muschietti, de son petit coin tranquille, suivait les pas des grands d'une époque, de Ridley Scott à James Cameron, en proposant au spectateur une vision indépendante et belle de la femme, qui n'a pas besoin, tout comme l'homme n'en a pas besoin, d'être invulnérable et ultra-violente pour exister au cinéma.
Il suffit, parfois, de la tendresse d'un moment entre mère et enfants, des bonnes actions en moment de tension, d'une protection infaillible et d'un soutien à toute épreuve pour caractériser ce que peut être la femme au cinéma; à l'heure où Avengers : Endgame aura marqué pour sa scène pseudo-féministe de rassemble de femmes Avengers, Muschietti donnait une leçon d'écriture à tous ces réalisateurs/scénaristes commerciaux qui pensent que la représentation féminine se résume à la mettre au dessus du public.
Il faut, bien au contraire, la rabaisser au champ visuel du spectateur, la placer en position de miroir pour qu'il puisse s'identifier à elle (qu'on ne me dise pas que Captain Marvel est un plus beau symbole de féminisme; c'est seulement un personnage féminin avec des caractéristiques d'homme surpuissant qui n'existe que parce qu'elle représente une concurrence au Wonder Woman de DC, qui souffre elle des mêmes défauts d'écriture). Il faut, tout simplement, rendre ses personnages humains pour qu'ils puissent exister pendant et après le visionnage, et marquer les consciences.
Mama, poésie engagée.