Mama a l’intelligence de convoquer le thème – et cas clinique – des enfants sauvages pour mieux le mettre à distance par le biais d’un personnage ambigu, le docteur Gerald Dreyfuss, plus intéressé par la gloire que lui conférera son étude que par le bien-être des jeunes rescapées. Car ce qui attire Andrés Muschietti, comme dans les deux volets de It, c’est la peur qui résulte d’un traumatisme d’enfance et qui gangrène la relation qu’entretient l’adulte avec l’enfant, débouchant sur une rupture de communication voire la répétition cauchemardesque d’un refoulé. Que les personnages fonctionnent en miroir les uns des autres ne relève pas du hasard : deux mères d’adoption, deux pères par ailleurs frères jumeaux, deux sœurs, deux territoires spatiaux – la maison toute neuve, la vieille cabane perdue dans les bois. Tous les personnages sont dédoublés, mais aucun n’est à sa place : parents et enfants sont projetés malgré eux dans une relation qu’ils n’ont pas choisie et qui leur impose un rôle difficile à tenir. Aussi ladite « Mama », l’antagoniste éponyme, apparaît-elle comme une figure de mauvaise mère venue tenter la mère de substitution, soucieuse de la tourmenter afin de la mettre à l’épreuve et de prolonger ad vitam æternam son martyre. Les personnages et les lieux fonctionnent en vases communicants : le malheur de l’un se déverse dans le bonheur de l’autre, la noirceur des papillons creuse les murs blancs, nourrit Lilly, la réincarne enfin comme figuration de cette humeur noire, de cette mélancolie qui poursuivra la famille jusqu’à son terme. La clausule, inattendue et fort sombre, témoigne de la portée psychanalytique du long métrage : l’une reste, l’autre part, et cette séparation d’un même corps symbolique, ce morcellement identitaire traduisent par l’image non pas la fin d’un cauchemar mais sa seule transfiguration depuis une assise abstraite – la créature, entité numérique décharnée – vers les profondeurs d’un être marqué à vie par l’absence, le manque, le vide. Ce que met en scène Mama, et en dépit de ses petites baisses de rythme, de ses piétinements certains et de ses quelques incohérences, c’est la puissance sauvage et destructrice d’un traumatisme que l’on peut dompter, apprivoiser par la greffe d’un amour autre mais sincère, que l’on ne fera jamais disparaître. Que savons-nous du personnage d’Annabel ? Rien, sinon que la jeune femme est dépourvue d’attaches familiales extérieures – du moins celles-ci ne sont jamais mentionnées –, qu’elle déambule toute de noir vêtue et joue dans un groupe de rock. Elle incarne la rébellion, la contestation de l’autorité, diffuse une fragilité à fleur de peau qu’interprète fort bien Jessica Chastain. Comme la projection de ce que sera Victoria par la suite. Une œuvre intelligente et réussie.