« The Color Wheel », un titre bien surprenant pour un film tourné en Super 16 noir et blanc. Alex Ross Perry est, quelques mois après Evan Glodell (auteur de « Bellflower ») le nouveau homme à tout faire du cinéma indé américain. Scénariste, réalisateur, acteur, producteur, monteur : la volonté de tout contrôler vient naturellement se couronner d'une certaine image arty témoignant aussi bien d'une belle éducation cinéphile que d'un certain autisme artistique.
Cela étant, « The Color Wheel » est un film dont les faiblesses (de moyens) se transforment en force. A défaut d'argent, Perry a des idées et du talent et son film est magnifique. Si le débit des dialogues et une bonne partie des vannes rappellent certainement le Woody Allen des années 70, « The Color Wheel » s'en éloigne assez franchement quant aux sujets abordés. Les deux personnages sont tous les deux victimes du rêve américain : il voulait être écrivain, elle actrice, et ils se rendent compte en approchant de la trentaine qu'ils ont déjà raté leur vie et leur carrière. Paumés et différents, ce couple qui n'en est pas un va se replier sur lui-même au fur et à mesure des rencontres qu'ils effectuent (des fantômes de leur vie passée mais aussi de leurs rêves), le frère et la soeur ne semblant plus pouvoir trouver d'échappatoire ailleurs que dans leur propre relation, se complaisant dans leurs échecs au cours d'un ahurissant plan-séquence, dont l'issue ne manque pas d'étonner par sa radicalité alors même qu'elle était prévisible depuis le début du film et la scène du motel (qui est par ailleurs un délicieux moment d'humour absurde). De ce plan-séquence magnifiquement filmé et interprété, il n'en ressort pas tant de l'amoralité que de la mélancolie, celle de deux ados se retrouvant adultes sans avoir eu le temps de comprendre ce qui s'est passé. Il ne leur reste plus qu'à vivre un vie forcément un peu marginale et ennuyeuse (le film rappelle parfois « Strangers in Paradise » de Jarmusch) et on les abandonne, trois jours après le début de leurs aventures, sans qu'ils aient avancé d'un iota (ironique pour un semi-« road movie »).
« The Color Wheel » est souvent drôle, finalement pessimiste, parfois émouvant, adoptant un air détaché, résigné et nonchalent, à l'image du personnage incarné par Perry lui-même (un physique banal et une voix à la Casey Affleck). Le film acquiert peu à peu une certaine poésie, une certaine grâce, et s'avère être une expérience cinématographique sincèrement enthousiasmante : on encourage Perry à ne pas renoncer à ses rêves et à continuer sur cette brillante lancée.