Je dois faire partie des 0.0001% de la population française qui n'ont pas vu The Artist. Je défends le cinéma comme art complet, fort de ce qu'il porte en lui l'expression de la réalité comme de l'artifice. Lui retirer la parole et la couleur, c'est comme quand vous avez une jolie fille: vous lui cassez trois dents de devant et lui mettez un bandeau sur l'oeil pour la sortir dans le monde? Non.
Et puis, une autre raison, c'est que je trouve Jean Dujardin comme Bérénice Béjo des acteurs totalement inintéressants qui ne valent pas la peine qu'on se dérange pour les voir....
Ça doit être la vraie raison, puisque nantie de tous ces préjugés, j'ai été voir Biancanievés, et que j'ai beaucoup apprécié cet exercice de style. Parce que ça se passe dans le monde de la corrida, art essentiellement visuel. Parce que c'est espagnol, avec ce que cela sous entend de sens du fantastique et du grotesque, pensez, parmi les réalisateurs actuels, à Juan Antonio Bayona ou à Guillermo del Toro. Il y a des scènes que Bunuel n'aurait pas désavoué.... Le réalisateur se sert magnifiquement de toutes les nuances de grey (whaf whaf whaf), de toutes les nuances de noir, à la Soulages, et surtout d'un blanc explosif. Dans le sol y sombra de l'arène, dans le blanc éclatant de l'hôpital, la caméra allonge des visages blafards qui semblent sortis d'un tableau de Zurbaran.
Donc, la maman de notre moderne Blanche Neige meurt en couches, alors que son père, toréador célèbre (le très beau Daniel Gimenez-Cacho), est gravement blessé par un taureau qui le laisse tétraplégique. Au début, la petite est élevée par son adorable abuela, mais à la mort de celle ci, elle est récupérée par l'ignoble marâtre (la belle Maribel Verdu) qui tient à sa merci le toréador déchu.... Son seul ami: Pepe le coq... Dans la suite des aventures de la malheureuse, elle se trouve recueillie par une troupe de nains qui donne des corridas parodiques avec des vachettes.... Encore quelque chose qui est inimaginable en dehors du Mexique ou de l'Espagne. Dans un pays politiquement correct comme ceux de l'Europe du Nord, sûr qu'on tordrait le nez devant cette exhibition de la disgrâce physique.... Parmi les nains, l'un est grincheux; un autre, au joli visage, est tout simplement amoureux.... Blanche Neige adolescente est interprétée par Macarena Garcia, une beauté, et une beauté fiérement espagnole, racée, typée.
La douce abuelita, c'est Angéla Molina, que l'on vit chez Bunuel en concurrence avec Carole Bouquet, vous en souvenez vous? Elle explosait de beauté, à côté de la Bouquet aussi sexy qu'un rôti de veau, avec ses petits yeux porcins. Mais voila: le temps a passé. Parfaitement liftée, maigrissime comme il se doit, toujours idéalement élégante, la Bouquet inchangée peut continuer à faire la couverture des magazines avec ses films, son vignoble, ses amours alors qu'Angéla Molina assume son physique de vieille dame. Mais, toute fripée soit elle, quand elle fait quelques pas de flamenco, elle a un charme, une grâce, une beauté que rien, et même pas l'âge, ne pourra lui retirer......
J'ai donc pris beaucoup de plaisir à voir ce film de Pablo Berger, comme un exercice de style, et même carrément comme une oeuvre d'art, car quand les images sont aussi recherchées, on peut vraiment parler d'oeuvre d'art. Sol y sombra, la corrida y est à l'image du drame de la vie. Pour autant, passerais je ma vie à voir des films muets et en noir et blanc? Non.