Si vous avez eu en début d’année la malchance de vous égarer dans une salle de cinéma projetant la catastrophique grosse production Américaine Blanche neige et le Chasseur de Rupert Sanders ou une adaptation similaire de Tarsem Singh sortie à la même période, vous risquez d'avoir tendance à partir en courant en apprenant l'existence d'une nouvelle version du conte des frères Grimm : Blancanieves. Rassurez vous, cette réadaptation espagnole de Pablo Berger n’a rien à voir avec un énième blockbuster romantico-pathétique comme on a l'habitude d'en apercevoir sur les affiches et autres supports commerciaux.
L'histoire est ici abordée sous un angle original et intéressant : transposée en Espagne, la culture de ce pays devient alors un élément essentiel. L'histoire tourne en effet autour de la corrida, faisant du vieux roi père de Blanche-neige un célèbre torero accidenté et ainsi paralysé de tout le corps. Il transmet sa passion et son talent à sa fille, une blanche-neige nommée Carmencita bien plus charismatique que le personnage de Disney.
Ici pas de « Un jour mon prince viendra », « On rentre du boulot », « Miroir mon beau miroir ».... Pablo Berger fait du conte des frères Grimm un mélodrame gothique captivant dans lequel on retrouve tragique, beauté, humour, euphorie...Gardant une esthétique du conte, le film effectue à l'occasion quelques références similaires avec le Petit Poucet, Cendrillon, le Petit chaperon Rouge... Plus cinématographiquement, on pourra également penser à l'expressionnisme, au cinéma russe d'Eisenstein et Vertov, aux films d'Alfred Hitchcock ou encore à Freaks de Tod Browning (1932)...
Certaines ressemblances avec d'anciens films et la spécificité de Blancanieves sont dues en particulier au choix d'utiliser une esthétique du cinéma muet. Combinant cette esthétique dite ancienne et une qualité d'images et mouvements de caméra nécessitant des technologies modernes, le réalisateur crée une qualité spéciale et peu commune. Pablo Berger offre ainsi aux spectateurs de superbes images comme on en voit rarement : maîtrisant un magnifique noir et blanc, usant de jeux d'ombres, plaçant sa camera dans des angles aussi inattendus qu'exceptionnels tout en lui faisant faire des mouvements surprenants. Le travail de l'image apparaît d'autant plus excellent par un montage virtuose comme on a plus beaucoup l'occasion d'en voir, un montage hitchcockien qui donne aux scènes une efficacité et un charme certain.
Par le muet, le travail du son est fondamentalement essentiel . Un travail plus que réussi par Alfonso Vilallonga qui signe une magnifique musique de film : entre burlesque, musique traditionnelle espagnole, dissonances angoissantes... Le compositeur évite soigneusement de tomber dans une répétition lassante de musiques seulement filmiques, particulièrement en utilisant des fausses prises de son directe. On appréciera donc des séquences de flamenco et celles dans lesquelles la musique est montrée comme diffusée par un vieux phonographe. Excellent et varié, le travail du son égale celui de l'image.
Les acteurs excellent par leur expressivité nécessaire au cinéma muet, la corrida et le flamenco donnent l'occasion d'utiliser de magnifiques costumes...Si Blancanieves pourra, en tant que film muet, être comparé à The Artist, il prouve qu'il est possible de faire bien mieux que Michel Hazanavicius et mérite bien plus de succès.
Blancanieves est un film comme on a plus l'habitude d'en voir, Pablo Berger lui donne son propre style. L'utilisation du muet et du noir et blanc lui donne une esthétique exceptionnelle, qui ne cherche pas seulement à ressembler à d'anciens films mais qui se donne du renouveau et une modernité susceptible d'influencer des productions à venir. Capable de plaire autant aux cinéphiles qu'au grand public, Blancanieves marquera les esprits.