Dystopie trop polie
Toutes les émotions sont éradiquées pour établir une parfaite égalité entre tous. Tel est le principe qui fonde la société dans "The Giver". Construite sur un idéal, cette civilisation baigne dans un océan corrosif de manipulation. Les poissons y nagent pourtant comme dans le bonheur, en suivant un flux d'insanités. En somme un dystopie comme on en voit énormément depuis deux ans. Encore le parcours d'un jeune héros lambda qui à force d'avancer à contre courant deviendra le guide d'une révolte.
Dans cet amas d'adaptations de littérature SF pour ados, il est important de préciser que "The Giver" est le livre pionnier du genre. Sorti en 1993, ce premier opus d'une tétralogie a ouvert la voix à bien d'autres sagas. C'est un roman qui se distingue. Primé, très bien vendu et parmi de nombreux programmes scolaires. On lui reconnaît un certain aplomb, jugé parfois même inapproprié pour le jeune public. Pas besoin d'avoir lu le livre pour se rendre compte que le film ne se nourrit pas des qualités soupçonnés au récit original. Un écart majeur est d'ailleurs pris, l'âge des protagonistes. Le jeune ados devient une jeune adulte. Probablement pour que le public visé s'identifie. Belle connerie ! Sans savoir ce qu'il en est du livre, le film est extrêmement lisse et lassant.
Si le livre original est le précurseur d'un phénomène littéraire, "The Giver" est, au contraire, un film contrefait. Une reproduction infructueuse des quelques autres aventures sur fond de contre-utopie.
Cela-dit, le film commence sur un choix particuliers, le noir et blanc. D'un point de vu esthétique, son utilisation est pas franchement convaincante. Le rendu est très fade. On se demande si c'est voulu ou s'il y a problème technique, bien que son sens soit tout de suite très clair. L'idée d'illustrer l'éradication des émotions par une nuance de gris est pas mauvaise, dommage qu'elle soit un peu trop appuyée. Inutile de l'ajouter à la narration, elle en est encore plus alourdie et décousue. L'allégorie aurait pu rester uniquement visuelle.
Pour le reste aucune surprise. Tous les codes du genre sont abusivement repris. Une des raisons concrètes du vieillissement des personnages, c'est probablement de pouvoir imposer une romance. Y eut pires récits sentimentaux, elle évite au moins le renversement d'une relation impossible. Le couple Fiona/Jonas dégage une belle sincérité. Mais les principaux meneurs restent très stéréotypés.
Jeff Bridges (fan du livre original, et instigateur du projet d'adaptation) et Meryl Streep font peine à voir. Ils interprètent avec difficultés des rôles ridicules et affligeants de facilité. Katie Holmes fait tout simplement pitié. Elle est la plus agaçante d'un insupportable troupeau de moutons de Panurge. La naïveté des citoyens de ce nouveau monde fait partie du propos. Mais la stupidité est d'un excédant excès. L’obsession de la "précision du langage" est exaspérante, le dévotion mécanique de la foule consterne. C'est l'idée globale du film, néanmoins c'est bien trop grossier pour être intéressant.
La scène de la "cérémonie" est la plus symptomatique de la vacuité du film. Elle reproduit à l’identique l'univers visuel de "Hunger Games" et la catégorisation de "Divergente". C'est le principe même de toutes ces derniers récits de dystopie, démontrer une société qui codifie des règles à excès et classe ses citoyens. Diviser pour mieux régner. Toute fois, avec un peu plus subtilité, ça a pu marcher par le passé. Ce discours politique sous-jacent peut être un bon appui, mais c'est d'avantage casse-gueule. Ça donne souvent un propos qui porte plus à soupirer que réfléchir. Ce qui est bien le cas du film "The Giver".
Pour autant il a quelque chose de touchant, dans sa niaiserie. Une interprétation plus que légère, un scénario donc ridicule, et même des propositions visuelles pathétique. Mention à la carte avec une iconographie plus que rudimentaire. On est proches d'une carte au trésor dessinée par de petits pirates, pathétique. La course, bébé en main, est le comble de toute cette ineptie. Des acrobaties aux effets-spéciaux incroyablement mauvais et une conclusion narrative expéditive. Le récit est bouclé de façon aberrante, incohérente et insultante.
C'est évidement pas voulu, mais le film est drôlement risible. C'en est presque attachant.
Fadaise des temps modernes, "The Giver" porte au pinacle la scandaleuse redite d'Hollywood. Stratégie commerciale à destination du public adolescent qui rabaisse, ou prolonge (c'est selon), le filon de la littérature fantastique américaine (peut-être pas toujours honorable non plus).