Dernier film muet d’Alfred Hitchcock, mais son premier film sans réel « happy end », Maxman sort sur les écrans anglais en 1929. Le réalisateur exploite la trame d’un triangle amoureux, comme il l’avait déjà fait dans The lodger, Champagne (A l’américaine), mais surtout The ring (Le masque de cuir). L’angle de traitement en est cependant bien différent : exit la rivalité de la gent masculine pour conquérir le cœur de l’héroïne.
Dans The Manxman, si les deux hommes sont bien sous le charme de la même femme prénommée Kate, Philip, l’avocat-juge en devenir, laisse la mort dans l’âme « la place » à son meilleur ami d’enfance, Pete, un marin-pêcheur ne soupçonnant pas les sentiments du premier pour la demoiselle.
Rabroué par le père de cette dernière parce qu’il est désargenté, Pete s’embarquera pour faire fortune, et revenir conquérir celle qu’il souhaite épouser, se garantissant de faire promettre à cette dernière de l’attendre avant son départ. L’annonce de la mort de Pete pendant son périple a tôt fait de rapprocher Kate et Philip, qui débutent une relation clandestine. Malheureusement ou pas (Hitchcock laisse le spectateur choisir selon son affinité pour les personnages), il y a eu erreur sur l’information transmise : Pete revient plein de vie au bercail, heureux à l’idée de pouvoir se marier avec Kate. Le père de celle-ci ne s’y oppose plus, ayant sans doute éprouvé du remords à l’annonce de sa mort, et appréciant l’enrichissement de son nouveau gendre. Sauf que Kate, profondément amoureuse de Philip, ne veut pas se mettre avec Pete malgré la promesse passée ; Philip quant à lui la quitte pour préserver le bonheur de son meilleur ami et se consacrer à sa carrière. Kate se soumet donc aux diktats sociaux, et épouse l’homme qu’elle n’aime pas, faisant le malheur de tous. En effet, elle ne supportera pas cette vie de mensonge et s’enfuira du domicile familial pour retrouver Philip, qui n’assumera pas davantage. C’est lorsque Kate apparaît au tribunal, après une tentative de suicide, devant Philip devenu juge, que la vérité éclatera.
Le film est narratif, et assez peu hitchcockien sur le style : suspens et humour sont quasiment absents. Plusieurs scènes sont tournées en extérieur « sauvage », ce qui est plutôt rare dans les films muets du réalisateur. Notons qu’une citation en incipit introduit le film : « Que gagne un homme s’il possède le monde entier mais perd son âme ». The manxman, par la situation développée, amène le spectateur à une réflexion humaniste : Pete, Philip et Kate sont tous les trois des victimes du destin, le premier se berçant de l’illusion d’un amour réciproque, le second faisant tout pour éviter à son ami d’être malheureux, la dernière pour devoir camoufler les sentiments qu’elle a si vivement développés avec Philip après l’annonce du décès de Pete. Cet imbroglio est mis en exergue lors du repas du mariage, se déroulant dans un moulin où les deux amoureux suppliciés s’étaient embrassés.
Si le jeu des acteurs incarnant Kate et Pete est régulièrement caricatural, comme c’est souvent le cas dans le muet pour compenser l’absence de paroles, le jeu de Malcolm Keen, interprétant le personnage de Philip, est plus subtil. Hitchcock révèle son génie par la scène du journal intime dont les feuillets sont tournés, qui indiquent le rapprochement entre Kate et Philip, évitant l’écueil d’une succession de scènes devenues par ce procédé inutiles. On remarquera également le plan très symbolique où Pete laisse éclater sa joie à l’annonce de sa future paternité, à l’arrière de Kate et Philip aux visages ternes et aux corps immobiles au premier plan, connaissant la vérité sur cette paternité.
The manxman est un film avec peu de relief et d’innovations, mais à l’intrigue vraiment intéressante ; il se visionne avec le plaisir réel qu’un lecteur aurait à parcourir un bon roman.