A-t-on jamais vu un Schleu troquer son Panzer pour une Fiat...
Eh... Rush m'évoque Giorgio Moroder. D’abord, parce que tout l’été, j’ai eu envie de dire avec un accent italien : « My name is Giovanni Giorgio, but everybody calls me Giorgio », et que maintenant, j’ai envie de parler anglais avec un accent allemand et de prononcer : Niki Lauda. Niki Lauda. Ce nom a quelque chose de percutant ; il donne envie de le scander, louder and louder -Lauda and Lauda quoi, sans mauvais jeu de mots. « Hunt, James Hunt » : celui-là rime avec cunt, quelle classe. Mais Niki Lauda… Niki Lauda sonne victorieux et résonne dans ma mémoire, (déjà plus) toute fraîche. Ensuite, parce qu’au-delà du casque, le film rappelle plusieurs morceaux de Random Access Memories, le dernier album de Daft Punk : il dégage la même fureur, la même impression de course frénétique jusqu’à plus de souffle que « Giorgio by Moroder » et « Contact ». Surtout « Contact » d’ailleurs, aux accélérations interminables, parfois saccadées, et au coup de frein silencieux : titre plus bourrin que fin, mais aussi F1 que bourrin -sans mauvais jeu de mots. Pour finir, parce que les mythiques années soixante-dix me réserve encore quelques surprises -évidemment, le synthé surpasse largement la course automobile, même s’il s’agit du « racing grudgematch of the decade » : James Hunt vs. Niki Lauda.
J’ai essayé, en rentrant du cinéma, de regarder une course automobile sur YouTube : ennui mortel. Et pourtant, celles de Rush m’ont passionnée comme aucune autre depuis Boonta Eve, la podrace sur Tatooine, la plus dangereuse de la galaxie ; elles m’ont projetée hors de mon siège et dans un univers totalement étranger : je n’aime pas le sport, je n’ai pas le permis… Sans les Anglais et le Japonais, je ne saurais même pas de quel côté de la route les Français roulent –à droite ? Bref, il faut admettre que l’œuvre la plus aboutie de Ron Howard transcende totalement son sujet, transforme vroum vroum en duel épique entre deux as du volant. D’un côté, Niki Lauda, le Kraut à la Ferrari -tout le monde sait que l’Allemagne nazie, alliée à l’Italie, a annexé l’Autriche en 1938-, bien plus beau dans la fiction ; raisonnable et très méticuleux, il correspond un peu au Thomas Bangalter du duo. De l’autre, James Hunt, le pochetron à la McLaren -pardon : l’Anglais dans son Spitfire-, bien plus beau dans la fiction ; immodéré et plutôt spontané, il a le swag de Guy-Man. Bref, deux types qui excellent à tourner en rond, mais pas autour du pot -d’échappement, sans mauvais jeu de mots ; deux garçons d’écurie qui dégainent plus vite que leur ombre ; deux champions qui s’affrontent sur le circuit au péril de leur vie : Rush est un revival sur bitume de la bataille d’Angleterre, garanti sans défaite glorieuse à la française.
Alors il y a, d’une part, la dimension épique du film, dont la force ne réside justement pas dans sa seule capacité à faire monter l’adrénaline : l’enjeu du combat est sublimé, l’humain dépassé. Les pilotes, tels des chevaliers modernes prêts à jouter, se font figurément face en même temps qu’aux éléments qui se déchaînent -la pluie battante est utilisée comme dans The Grandmaster. Puis il y a, d’autre part, la dimension animale, quasi sexuelle, qui s’exprime au travers de la jouissance extrême et communicative qu’éprouvent les deux hommes, plus vivants que jamais, lancés à près de trois cents kilomètres heures dans leur bombe sur roues, dont le jeu des pistons simule le coït : clairement, ils font la nique à Thanatos. Enfin, il y a la dimension humaine : car la rivalité entre Niki Lauda et James Hunt n’est pas haineuse, mais respectueuse et solidaire, voire fraternelle -« We are human after all. » D’ailleurs, l’épilogue en témoigne : le vivant parle pour le mort, de la même manière que l’indemne prend la défense de l’accidenté ; à la double narration se substitue une voix-off chargée d’un double exposé, qui confirme qu’ils se comprenaient.
De la pulsion à la grandeur, Rush offre donc un florilège d’émotions auquel correspondent une mise en scène et une bande son -signée Hans Zimmer- d’un hétéroclisme très séduisant : il est rock’n’roll. Ron Howard se démarque surtout par la réalisation des scènes de course, spectaculaires et prenantes au possible, dans lesquelles il alterne les vues -de Lauda et de Hunt d’une part, en caméra objective et en caméra subjective d’autre part-, les types de plans -rarement larges- et les angles de vue ; ce travail permet assurément de plonger au cœur de l'action.
Voilà, j'ai écrit Lauda dix fois. Enfin, onze avec celle-là.
Si la critique vous a plu, n'hésitez pas à faire un tour sur mon site !