Leos Carax, cinéaste sulfureux et controversé revient en 2012 après treize ans d'absence avec "Holy Motors", film extrêmement singulier, complexe, malin et mystérieux.
Il raconte l'histoire de Oscar (Denis Lavant) un homme exécutant des contrats en jouant différents rôles du quotidien, il enchaîne les prestations diamétralement opposées, la limousine l'emmène aux quatre coins de Paris pour une journée qui ne sera qu'une parmi tant d'autres.
Le film est construit sous la forme d'un recueil de saynètes sur le théâtre de la vie, Carax l'introduit lui même où il se réveille et ouvre son univers fantasmagorique à un public de fantômes (première provocation puisqu'il soumet l'idée que cette salle est un miroir de nous même, spectateur inerte), il va explorer au fil de son long métrage différents registres, du conte gothique au polar en passant par le drame et la comédie musicale, de l'homme acteur qui s'efforce à devoir continuer pour son art.
Il aborde une palette de personnages paradoxaux socio-culturellement (homme d'affaires, mendiante, modèle de motion capture, vagabond farfadet, père de famille, accordéoniste, meurtrier et victime ...) et les mets en scène de manière minutieuse évoquant diverses thématiques (la création, la paternité, la sexualité, le dédoublement ...), Denis Lavant est juste exceptionnel et porte tout ses rôles magistralement. Cette mise en abîmes continuelle de l'acteur-acteur de la vie nous force à éluder tout sens plus ou moins réaliste, en gros celui qui y cherchera une quelconque tangibilité sera perdu et mis gentiment sur le bas côté, puisqu'au final rien n'est réel et le film ne se veut certainement pas réaliste et cohérent, il sort tout droit de la tête d'un cinéaste fou qui veut sadiquement s'amuser de son spectateur, le forcer à cogiter, lui bottant le cul pour qu'il s'éveille enfin lui aussi.
L'homme y est dépeint comme un acteur du quotidien, qui multiplie les rendez vous sans aucuns liens concordants, il alterne les rôles sans envie, juste avec l'ambition d'avancer dans son existence médiocre "pour la beauté du geste", pour revivre à l'infini cette journée en espérant chaque soir que la prochaine trouvera son salut et qu'enfin sa vie change. Les limousines sont les connecteurs qui font tourner le monde, les derniers moteurs au service de l'humanité, des vestiaires de théâtres préparant son sujet à l'aliénation de son statut d'être désincarné et réincarné.
Carax est véritablement critique de l'être humain et de ce qu'il est devenu, "il ne veut plus regarder", "il ne veut plus d'action", donc il cherche forcément à interpeller son spectateur pour le divertir intellectuellement, il le provoque, on pourra juste d'ailleurs lui reprocher son excès de prétention volontairement excluant, mais une chose est sûre, et c'est au moins qu'il réussi indéniablement une chose, que l'on adhère ou non à son film il ne laisse certainement pas indifférent.
"Holy Motors" est à les yeux un grand film, sans doute un des meilleurs de ces dernières années, au concept très ambitieux et extraordinairement beau et poétique.