Voilà un moment que je redoutais depuis fort longtemps (cinq jours, en fait…), celui de devoir rédiger ma chronique sur Holy Motors, un long-métrage qui sépare d’ores et déjà les spectateurs y voyant soit l’arnaque de l’année ou une pure merveille cinématographique. Si je redoutais ce moment, c’est avant tout par peur d’oublier de mentionner certaines qualités du long-métrage qui ont contribué à faire de lui ce qu’il est. Par peur de ne citer que les références les moins certaines. Par peur de délaisser les passages qui seraient moins marquants, bien qu’essentiels. Parce qu’Holy Motors, c’est tout cela à la fois. Un spectacle inédit ou, comme on dit hélas trop souvent, un « ovni » cinématographique (et puis en plus, depuis quand les films sont des objets volants non-identifiés ?). Leos Carax, auteur décrié qui se voudrait volontiers appartenir au rang des poètes maudits, a donc réalisé une œuvre bluffante d’ambition. Un moment fort éprouvant qui saura faire passer le spectateur par de nombreuses émotions que l’on pourrait caractériser d’indescriptibles. Un univers mystérieux où se succèdent différents segments de la vie d’Oscar – des vies d’Oscar, tout du moins –, minutieusement structurés, contrairement aux questionnements subsistant lors du visionnage qui eux, demeurent sans limites. Des questions qui peuvent, à la sortie de la salle, rester sans réponses même en prenant un certain recul. Après tout, il est difficile de savoir totalement ce qu’est Holy Motors, ce film à l’univers futuriste qui semblerait presque se dérouler dans un autre espace temps. Et puis il y a Denis Lavant. Cet acteur qui, tel un caméléon, change de peau une bonne dizaine de fois lors du long-métrage. Cet acteur qui ne prête attention qu’à son seul personnage de façon à le maîtriser de la meilleure façon qui soit. Des performances extraordinaires qui représentent à elles-seules le fondement du film ; lui donnant une tonalité plus ou moins cruelle, plus ou moins dramatique, selon l’allure du personnage ainsi que son rôle dans la société. Un vieillard mourant, une vieille mendiante, un père de famille, un accordéoniste ou encore Monsieur Merde. Cet infâme bonhomme qui pourrait à lui-seul personnifier tous les vices de la race humaine. Cette bête éprise de la belle (interprétée par Eva Mendes, dont le stoïcisme demeure infiniment mystérieux), qui ira jusqu’à kidnapper celle-ci, la prenant sur ses épaules avec l’allure quasi-surhumaine d’un César. Carax cite Cocteau, Carax cite Wiene. En effet, il ne faut pas oublier cette dimension révérencielle du long-métrage. Si le réalisateur lui-même s’en défend, il est pourtant aisé de voir en ce film une parfaite métaphore du cinéma, le retraçant de ses origines jusqu’à maintenant. Ainsi, les courtes séquences N/B qui servent d’intermède aux différents segments du film constitueraient ce commencement ; tout comme la motion-capture incarnerait la dernière grande innovation en date, pour le cinéma. De fait, admettre qu’Oscar est en fait Denis Lavant en personne relève de la pure logique : cette profession futuriste ne serait en fait que le métier d’acteur (d’autant plus que cette perspective est explicitement soulignée par le personnage qu’interprète Piccoli). Bien entendu, cela n’enlève en rien le pur génie qui découle des superbes interprétations de l’acteur. Enfin, la musique tient un rôle très important dans Holy Motors et, plus particulièrement, dans les émotions que celui-ci dégage. Si celle-ci n’est pas forcément des plus présentes, elle est cependant à l’origine de deux des passages les plus éprouvants du film : l’entracte et l’ultime segment de la journée d’Oscar. Deux moments dont je ne révèlerai rien, par sympathie pour les éventuels lecteurs qui n’auraient pas encore vu le long-métrage, si ce n’est qu’ils représentent d’une belle manière toute la puissance qui parvient à se dégager d’une telle œuvre. En conclusion, il n’est pas de mot capable de décrire l’expérience vécue lors du visionnage d’Holy Motors. En revanche, je peux sans mal affirmer que Leos Carax est probablement un génie qui, avec ce long-métrage qui s’ajoute à sa courte filmographie, est parvenu à repousser de nombreuses limites d’un langage cinématographique pourtant déjà bien fourni. En d’autres termes, Holy Motors ne ressemble à rien de connu.