On rentre dans Tomorrowland par le biais d’une attraction Disney bien connue où une barque glisse parmi les poupées sonores : une course pour y arriver, et c’est le petit monde qui tend à s’élargir, on tombe d’un niveau avant d’être propulsé dans une cité utopique, tel un miroir inversé et déformé de l’attraction initiale. Puis c’est dans la boutique de produits dérivés Disney que tout se joue : on se tire dessus à la Men in Black, on se cache derrière des articles de la Twentieth Century Fox – anticipation cynique, puisqu’on sait que la souris milliardaire vient d’engloutir le studio –, on se balance un R2-D2 – ah oui, c’est vrai, Disney a racheté Star Wars –, on explose tout, le robot court derrière une voiture à toute allure, saute à l’arrière, se répare à l’aide d’un tournevis à la manière d’Arnold Schwarzenegger dans Terminator. La musique plagie ouvertement le thème de La Dernière croisade. Tomorrowland est un film de synthèse qui atteste la mainmise de Disney sur toute l’industrie du cinéma de divertissement contemporain. Un film de bric-à-brac qui entasse les trophées (comprenons, les licences) comme un enfant tire à lui tous les joujoux à la garderie. Un film dépourvu d’âme et au propos politique ô combien détestable : culte de la performance qui prend ici des aspects d’eugénisme, refus de l’enfant au profit du jeune adulte – nous voilà revenus chez Philippe Ariès –, troc des émotions contre le visage machinal d’une jeune fille cyborg. Le monde doit avoir le culte de la science, des algorithmes qui blanchissent les tableaux crayeux, des petits génies en circuit fermé qui deviendront les libérateurs de demain. La clausule voit papy Clooney débiter son discours dogmatique où le patriotisme ronflant rencontre l’optimisme panglossien… Lennie Riefenstahl n’aurait pas fait mieux. On ressort de Tomorrowland par le champ OGM des cerveaux éteints, ce qui donne lieu à une image fort belle, esthétiquement très réussie, mais à l’allégorisation douteuse. Le château de la princesse Disney est là, au fond. Achetez un pin’s, entrez dans le parc, buvez un Coca. Consommez. Regardez des gens faire semblant de réfléchir, faire semblant de débiter des trucs intelligibles – intelligents ? – mais ne réfléchissez pas ! « Ici des bêtes qui parlent, là des bêtes qu’on adore, des dieux transformés en hommes, et des hommes transformés en dieux ». Cette poursuite de demain est bien la fable des imposteurs.