Adapté du roman éponyme de l’allemand Hans Fallada (à priori l’un des tout premiers livres antinazis), lui-même s’inspirant d’une histoire vraie, on pourrait se dire que "Seul dans Berlin" est un film de plus sur la Seconde Guerre Mondiale. Sauf que ce long métrage-là ne parle pas vraiment du conflit mais plutôt du régime dictatorial et des conséquences de la folie guerrière du Führer sur certains de ses compatriotes. Pour cela, l’intrigue vient se placer au cœur de Berlin, au sein d’un couple quelconque faisant partie de la petite classe sociale et vivotant dans un appartement quelconque d’un immeuble quelconque, un couple qui apprend par une non moins quelconque voie de courrier désintéressée la mort de leur fils unique. Une lettre quelconque arrivée trop souvent de façon quelconque pour annoncer le décès de soldats non moins quelconques. C’est justement sur cette triste nouvelle que le réalisateur Vincent Perez nous propose de nous attarder pour son troisième long métrage. Une distribution de grande classe a été réunie pour interpréter les différents personnages ayant gravité autour de cette anecdote particulière. Enfin quand je dis anecdote, ce n’est pas par rapport à la mort de ce fils unique ; un tel événement est beaucoup de choses, sauf anecdotique. Non, ce qui l’est, c’est ce que ce drame va engendrer par la suite, c’est-à-dire le combat d’un père torturé par une sourde douleur intérieure qui va se tapir au plus profond de son être, et le combat d’une mère désormais traumatisée dans son âme et son cœur. Alors j’ignore si c’est pour interpréter cette force émanant de ce couple qui a motivé le casting de classe, mais le fait est que ce sont bien des acteurs connus et reconnus qui figurent en tête d’affiche. Rien à reprocher à Brendan Gleeson, pas plus qu’à Emma Thompson tant leur jeu sonne juste. L’un est parfait dans cette détermination motivée par la colère douloureuse de la perte d’un fils (unique, qui plus est), jusque dans la résignation quant à son sort si jamais son acte de résistance venait à être découvert. L’autre interprète à merveille sa douleur, l’adhésion de plus en plus grande à la nouvelle cause de son mari, mais aussi les incertitudes liées aux dangers de leurs nouvelles activités. Et enfin, nous avons un fantastique Daniel Brühl en inspecteur de la Gestapo, loin d’imaginer au début de l’affaire à quel point il va être pris dans la pression aux airs de rouleau compresseur exercée par le régime d’Hitler. S’engage un jeu du chat et de la souris implacable, où chaque geste compte et où les expressions du regard trahissent l’état d’esprit de chaque personnage. Si la mise en scène et le jeu d’acteurs sont irréprochables, il est dommage que la réalisation ne soit pas tout à fait à la hauteur. Oh je ne dis pas que le film est mauvais, loin de là. Au contraire il est bon. Seulement la réalisation n’est pas à la hauteur de la puissance émotionnelle que dégagent les acteurs et du potentiel émotionnel de cette histoire si particulière. La conséquence est que je suis un peu déçu que le récit ne soit pas aussi fort qu’il aurait dû l’être. De ce fait, la formidable interprétation des acteurs est relativement étouffée par une réalisation qui n’a pas su reconstituer avec précision cette atmosphère où tout se mélange : la peur des SS, la conviction d’une cause juste, le courage, enfin tout cet ensemble de choses que n’importe qui d’entre nous ressentirions si nous étions à la place d’Otto et Anna dans un tel contexte. Du coup, on ne frissonne pas vraiment. Pour autant, nous venons à bout des 103 minutes assez rapidement. L’histoire n’est absolument pas romancée, ce qui est un plus, bien que je considère qu’il aurait fallu le faire quand même un petit peu. Autrement dit : la réalisation est trop sobre, par un Vincent Perez trop soucieux de retranscrire avec exactitude du comment les allemands réfractaires au régime hitlérien ont vécu le nazisme. La musique est peut-être un peu trop discrète, en tout cas elle ne m’a pas marqué. La photographie est intéressante, de même que certains plans du réalisateur qui nous permettent de nous sentir proches des personnages, comme le gros plan sur la reconstitution de cette lettre ou sur la plume qui dessine sur la carte postale des propos accusateurs. On notera aussi une certaine pudeur dans la réalisation, notamment lors des exécutions que le spectateur ne voit pas, ou alors de loin. De très loin. Vincent Perez s’en sort donc bien avec ce film qu’il a mis 10 ans à écrire, alors qu’il avait mis un terme à sa carrière de réalisateur. Normal, il s’est senti concerné (je vous laisse découvrir le pourquoi dans les anecdotes de tournage), au point d’être exigeant et minutieux sur la reconstitution de l’époque, que ce soit au niveau des décors ou des costumes : pour preuve, la plus grande partie du tournage a eu lieu à Görlitz, une ville épargnée par les bombardements située à la frontière germano-polonaise.