20 minutes de grâce au milieu de 2 heures d'étonnantes fautes de goût, cela justifie-t-il le visionnage du film ? Je ne pense pas. A moins d'adorer les images de synthèse si excessivement lisses que les poils paraissent être une couche de peau (Dieu, que ces animaux sont moches ! 125 millions quoi !) et que chaque fond vert est clairement visible, de passer l'éponge sur des scènes de mélo constamment ratées et de se reconnaître dans des valeurs morales aussi rigides que manichéennes, le film se révélera au mieux insignifiant, au pire carrément désagréable. N'ayant rien trouvé de honteux puisque la plupart des choses qui me gênent sont des choix et non de réelles erreurs, je suis plutôt dans le premier bateau, bien qu'il faille un certain travail sur soi pour accepter les parti pris du film (Dieu existe, c'est un fait, et les origines de la création ne sont un secret pour personne). Mais le film se réveille dans un dernier tiers où l'on retrouve enfin la thématique chère à Aronofsky: l'obsession. Les idées fixes de Noé se heurtent à ses sentiments et celui-ci paraît (enfin) véritablement dérangé, et glace le sang. C'est aussi soulageant que frustrant parce que c'est la preuve qu'Aronofsky a, l'espace d'un instant, compris ce qu'il avait sous la main. A vrai dire, tout le film aurait dû adopter ce ton et accorder bien plus d'attention aux remises en cause (des certitudes de Noé comme de thèmes plus larges, de toute façon le film fait déjà polémique chez les conservateurs alors...) et un antagoniste n'aurait même pas été nécessaire. C'est d'autant plus con qu'aux yeux de n'importe quelle personne normalement constituée (c'est à dire athée, trollolol) les certitudes de Noé font froid dans le dos du début à la fin. Enfin, aux yeux d'un spectateur pourvu de logique peut-être, mais pas aux yeux des membres de sa famille qui acquiescent bêtement à tous ses discours jusque là. Ajoutez à cela que ces 20 minutes de délivrance sont l'occasion des seules performances réussies du film, peut-être les acteurs croient-ils enfin au texte qu'ils ont sous les yeux. Là le film adopte un réel discours, très intéressant qui plus est puisqu'il invite à ce qu'on pourrait appeler la désobéissance religieuse: je refuse d'obéir à un Dieu qui me parait immoral. Russel Crowe capte parfaitement l'obsession maladive de son personnage, Emma Watson offre une bien bonne surprise (même si elle aurait pu laisser le fard à paupières au vestiaire, question anachronisme c'est un peu gros) et Jennifer Connely est bluffante le temps d'une scène de ménage. On retiendra moins volontiers le reste de la famille en particulier le personnage de Sham que le scénariste essaie vraiment de mettre sur le devant de la scène, mais qui souffre d'un développement grossier et rate tous ses moments de gloire. Dans l'ensemble le film est trop mou pour être un péplum mais infiniment trop simpliste pour parler d'un film cérébral, ne reste qu'un ersatz d'héroïc-fantasy molle à caractère biblique mais pas trop, culminant dans son final sur un prêchi-prêcha soporifique. La moyenne va à quelques trouvailles sortant du lot, qui se comptent malheureusement sur les doigts de la main (la démarche des veilleurs en parfait hommage à Ray Harryhausen ou l'écriture comme l'aspect visuel de l'histoire de la création racontée par Noé même si wtf qu'est ce que du Darwinisme viens faire là dedans ?) et à l'éclair de génie d'Aronofsky qui arrive trop tard et repart trop tôt, tout est une question d'atomes crochus mais je ne le conseillerais pas.