La rubrique des faits-divers est pleine d’histoires comme celles servant de trame à « Mains armées » : les attaques de fourgons blindés ou autres braquages à l’armement de guerre venant de l’Est se banalisent, et bifurquer pendant une enquête s’y rapportant vers le trafic de drogue n’a rien d’étonnant. Le matériau anecdotique utilisé par Jolivet et Michaël son coscénariste sonne juste, et même d’actualité : la police a de plus en plus souvent affaire à des délinquants ou criminels « nouvelle génération », surarmés, imprévisibles et finalement plus dangereux que le milieu traditionnel. La mécanique de l’enquête est parfaitement décortiquée (collaboration entre services - pas toujours harmonieuse, filatures et planques ingrates, enquêtes diverses, gestion des indics..), et si tout est bien là (« suspense » et sueur mêlés, avec du rythme et de la fluidité) c’est plutôt de l’ordre du quasi-documentaire, où la seule variable « dramatique » (encore qu’attendue) serait l’émergence d’un « ripou » (c’est Marc Lavoine qui s’y colle en Julien Bass, le « patron » abusif de Maya, saisissant dans ce rôle nettement à contre-emploi de « méchant » : rien à voir avec les gentils « Ripoux » que Michaël avait imaginés pour la trilogie de Zidi) et le « bonus », la disparition en service d’un jeune OPJ (Adrien Jolivet assurant ici le rôle d’ « Hector »). L’ennui guetterait donc, si le récit policier strictement circonstancié était la finalité, mais ce n’est évidemment pas le cas. Il y a à la base deux affaires, sur deux sites (drogue à Paris, armes à Marseille), mais la jonction géographique et la perméabilité des enquêtes sont rapidement évidentes. Ces circonstances provoquent naturellement un rapprochement essentiel entre deux policiers (le chevronné et taciturne Lucas, et Maya, jeune écorchée vive ; le commandant et le lieutenant ; le « Marseillais » et la « Parisienne » ; armes pour l’OCRB, et « Stups »). Quand Lucas téléphone à sa jeune collègue (après avoir obtenu d’un tiers son n° de portable), on devine que le lien entre les deux dossiers qu’il évoque pour solliciter son aide a peut-être beaucoup du prétexte ! Une ancienne liaison ayant mal fini ? Le lien entre Lucas (Roschdy Zem) et Maya (Leïla Bekhti) est en fait tout autre : le premier est le géniteur de la seconde. Ayant entamé de brillantes études supérieures en maths, Lucas (20 ans à peine) s’était retrouvé père à son corps défendant. Il avait quitté Brigitte (Maryline Canto), qui, devant cumuler les fonctions, n’avait pu faire qu’ « un très mauvais père », et il ne connaissait Maya (« Dervin », comme sa mère, car il ne l’avait pas reconnue) que de très loin (bien qu’ayant toujours subvenu à ses besoins). Après avoir bourlingué quelque temps, il avait depuis longtemps intégré les rangs de la police pour y mener une carrière solide (canevas ressemblant largement à l’histoire personnelle de Simon Michaël). Ce qui intéresse Jolivet, c’est l’histoire de famille derrière l’histoire policière. La question est solennelle (et double) : peut-on s’attacher à un enfant dont on ne voulait pas (et sa réciproque : peut-on aimer un père qui vous a rejetée ?). Il s’agit d’éviter de se perdre dans le fil des deux enquêtes, tout en ne cédant pas aux facilités des épanchements mélodramatiques : les scénaristes ont cru trouver le bon dosage en relançant l’intrigue autour d’une initiative risquée de Maya - en frôlant le drame par excès de crânerie, la rebelle touchera le cœur du solitaire. Les « mains » sont enfin désarmées, après avoir été trop « armées ». Le père et sa fille ne se connaissent pas - ils vont essayer de s’apprivoiser, mais sans succès (l’un ne trouve pas les mots, quand l’autre n’a que reproches à la bouche), et ce n’est que vraiment in extremis qu’à défaut de s’être parlé, ils pourront se toucher (contact « primal » de bon augure). Le supplément psychologique, faisant de « Mains armées » un policier singulier, paraît donc opportun. Pour autant, si le but est clair (raconter la construction d’un lien que la nature seule n’avait pu établir), l’entrée en matière peut paraître un rien artificiel et la progression un rien embarrassée (Jolivet confessant volontiers à cet égard que mener de conserve deux intrigues policières, et l’exposé « existentiel » en sus, avait été des plus délicats : ne rien embrouiller, ne rien négliger….). Cet exercice d’équilibriste est imparfaitement accompli. Cependant, la qualité de la réalisation et celle de l’interprétation doivent être soulignées, qui compensent cette réserve (d’ailleurs peut-être largement subjective ?). En se limitant au « couple » père/fille : comme dans « Une Nuit » (alors aux« Mœurs ») Roschdy Zem (un habitué chez Jolivet) impressionne dans un nouveau rôle de flic (et de père en devenir) qui lui va comme un gant, et Leïla Bekhti (dont il avait fait sa sœur en réalisant « Mauvaise foi » !) est très convaincante en fille rétive qui ne demande qu’à changer d’avis, et « fliquette » se faisant du mieux possible une place dans un univers encore très majoritairement masculin.