Depuis Drive, Ryan Gosling est devenu l’homme parfait, un fantasme du good guy bad guy, à la fois fragile et virile. The Place Beyond The Pines joue avec cette image, la reprend à son compte dès la première scène. Le film s’ouvre sur un gros plan tremblant de son torse tatoué, puis on le suit de dos, dans un strip-tease à l’envers à travers la fête foraine. Il marche au milieu des lumières et du bruit, on l’appelle, on le supplie de venir, les femmes crient. Il enfile son t-shirt et son blouson (c’est, comme dans Drive, le style qui crée le personnage), il jette sa cigarette, et il enfourche sa moto. Ils sont trois à l’intérieur de la boule à faire des cascades, mais la foule n’a d’yeux que pour Handsome Luke. Pendant toute la première partie, le véritable sujet du film, c’est bien le corps de Gosling, devenu icône à la James Dean.
Après avoir découvert qu’il a un fils né d’une aventure de passage (Eva Mendes), Luke décide d’arrêter les cascades et de rester pour s’occuper de sa famille. Mais Romina vit avec Kofi (Mahershala Ali) qui l’héberge et s’occupe d’elle, alors que Luke n’a pas d’argent. Robin (Ben Mendelsohn), chez qui il travaille comme mécano, lui propose alors de braquer des banques. Ça marche bien, jusqu’à ce que les tragédiens grecs appelaient l’hubris lui fasse faire le coup de trop. Luke l’écorché vif est tué par un policier (Bradley Cooper). Fin. L’icône meurt, le mythe est re-crée. Le film ne serait qu’une pâle copie de Drive s’il s’arrêtait là. Mais il ne s’arrête pas là. La présence de Gosling hante le reste du film, mais c’est Avery Cross qu’on suit. Après l’anti-héros, voilà le héros, célébré en tant que tel par la presse et la police après son acte de bravoure. Il se trouve qu’Avery Cross a une famille lui aussi, un fils et une femme, et la mort de Luke pèse sur sa conscience. Le film est tout entier construit sur le parallélisme des deux histoires. Après une ellipse de quinze ans pendant laquelle aucun des personnages n’a pris une ride ou un cheveu blanc (à part la pauvre Eva Mendes) le film entame sa troisième partie. AJ, le fils de Avery retourne vivre chez son père, qui entre temps a donc quitté sa femme et la police pour se lancer dans la politique. Dans son nouveau lycée, AJ (qu’on a envie de claquer tout le long) rencontre Jason, le fils de Luke. Aucun des deux ne connaît le lien qui unit leurs pères. Mais la vérité qu’on tait tue lentement et finit par sortir. Le fin du film est une réflexion sur les secrets de famille, sur ce qu’on cherche à oublier ou à cacher mais qui ressort un jour ou l’autre, sur le passé qui revient, sur le destin qui unit et se répète malgré nous. C’est un peu forcé parfois, un peu artificiel, mais dans l’ensemble ça fait quand même un film intéressant. Et puis c’est Mike Patton qui a fait la musique, qui donne au film une beauté profonde et inquiétante, violente et triste. Derek Cianfrance oscille lui aussi entre réalisation traditionnelle et recherche visuelle, notamment dans la scène de la forêt filmée à toute vitesse où les couleurs des arbres et la lumière du soleil se mélangent dans un flou abstrait à la limite de l’expérimental (rien d’étonnant quand on sait que Cianfrance a été l’élève de Stan Brakhage). Un film entre-deux donc, plus réussi que raté.