Du bleu, du rouge, du jaune. Des couleurs primaires étalées à grands coups de pinceau sur de grandes toiles, puis raclées à l'aide d'un morceau de plexiglas. Couleurs et mouvements s'unissent en un système complexe, qui tient à la fois de la composition et du hasard. Richter travaille au corps sa matière ; il crée, laisse reposer, ajoute, détruit, recommence. Pas de plan, mais des intuitions, adaptations, variations. Et puis ça fonctionne... ou pas. Le beau s'impose comme une évidence... ou pas. Tout l'intérêt du documentaire de Corinna Belz réside dans la captation de ce work in progress, dans l'observation et l'écoute des mouvements du peintre, de sa confrontation à la toile. Une toile qui évolue sous nos yeux, dans un geste fascinant, saisi en plans d'ensemble, fixes, ou en plans rapprochés, mobiles. S'il demeure mystérieux, le processus de création, capté ainsi en silence, sans voix off, n'en est pas moins ce qu'il y a de plus parlant dans le film. Car le recours à la parole, sous forme de questions-réponses entre Richter et la documentariste, ou de rencontres entre le peintre et divers intervenants, ne fait que confirmer la dimension vaine de tout discours sur la peinture abstraite. Comme l'explique Richter lui-même dans un document d'archive présenté au début du film, la peinture est un langage propre dont la mise en mots est impossible. Il y a là une forme d'incommunicabilité à la fois frustrante et intéressante en tant que telle, pour ce que l'acte créatif garde d'intime et de secret. Une solitude indépassable que la présence d'une caméra vient ici quelque peu altérer, Richter avouant sa gêne et la modification de son comportement naturel. C'est la limite de cet exercice documentaire. Cela dit, l'ensemble se suit avec une grande curiosité, à l'exception de quelques passages un peu faibles sur les inaugurations d'expositions ou les tentatives d'aborder le passé familial du peintre. On apprécie le travail discret et intelligent de Corinna Belz, ainsi que la qualité graphique de sa réalisation.
Dans le même registre documentaire, voir Le Mystère Picasso, de Clouzot.