A la fin de ma critique de "La tête de Maman", je concluais ainsi : "Comme souvent dans les premiers films, Carine Tardieu a voulu traiter beaucoup de sujets, et montrer toute la palette des effets qu'elle pense maîtriser. Cet excès d'ambition, certes explicable, fait de la "Tête de Maman" un film fourre-tout parfois un peu racoleur. Une sincérité perceptible et quelques trouvailles originales peuvent nous donner envie de la revoir dans un projet mieux cerné." N’ayant qu’une parole, je suis donc allé voir cette adaptation du roman de Raphaëlle Moussafir. Je peux comprendre ce qui a attiré Carine Tardieu dans ce livre en relisant le pitch de "La tête de Maman" puisqu’on y retrouve à peu près les mêmes composantes : une mère névrosée, un père absent, une grand-mère complice, et une fille mal dans sa peau.
Peut-on parler ici de projet mieux cerné ? En un sens oui, puisqu’il y a une cohérence narrative, quand bien même celle-ci vient faire son marché dans le magasin des poncifs : la mère juive donc étouffante, la petite fille coincée qui se déniaise au contact de la bad girl de la classe quitte à abandonner son rêve de devenir amie avec la future reine du bal, la grand-mère qui s’allie à sa petite-fille pour mieux enfoncer sa fille. Le scénario est donc cohérent, mais sans réelle surprise, du fait de la volonté de plaire dans un registre "L’Elégance du Hérisson", mélange de personnages soigneusement décalés (mais finalement terriblement stéréotypés), d'écart entre un point de vue enfantin et l’incohérence des adultes (mais finalement affreusement artificiel) et de recours aux grosses ficelles de l’émotion et des bons sentiments.
Je pointais déjà dans ma critique précédente le décalage entre l’ambition de la mise en scène et la maigre proportion de réussite dans ces tentatives. Ici, même constat, avec un déchet encore plus grand. Au rayon des idées qui fonctionnent (soyons honnête, j’ai dû rire trois fois, ce qui est plutôt un bon score pour une comédie française), quelques trouvailles presque subliminales : le tableau d’acuité visuelle d’Agnès Jaoui – sa mère est ophtalmologiste - qui compose des mots en rapport avec son état du moment (chouchoukha, ménopause, salope, Michel), l’image mentale que Rachel se fait de la déportation de son père (un garçon seul à la table familiale, avec une blouse Mobalpa – son père est installateur de cuisines – épinglée d’une étoile jaune), euh, et puis c’est tout.
La liste des scènes qui font flop est, elle, interminable : citons la pauvre Isabella Rossellini obligée d’assumer une réplique telle que « Chez Mme Trebla, c’est le lieu du blablabla », l’institutrice fringuée comme Karen Chéryl en plus allumeuse qui proclame à la classe le jour de la rentrée « Soyez gentils avec Marina, sa maman n’est plus de ce monde », ou les dialogues très écrits mis dans la bouche des malheureuses gamines qui les débitent sans les comprendre. Les idées pachydermiques pullulent : Rachel qui dort avec son cartable, la musique de "La Boum" qui résonne quand elle rencontre le frère de Valérie, Colette qui n’arrive pas à tutoyer la séduisante mère de Valérie, et puisque Colette est séfarade, l’insistance autour des boulettes, aussi léger que la publicité pour Candia Silhouette active.
On aurait pu espérer quelque chose d’un casting à première vue intéressant : Agnès Jaoui qui fait un tournant à la Simone Signoret-Madame Rosa, Denis Podalydès, Isabella Rossellini, Isabelle Carré et Judith Magre. Ils se démènent tant bien que mal pour essayer de donner vie à des répliques téléphonées ou faire vivre des scènes improbables. A ce jeu, c’est sans doute Isabelle Carré qui s’en sort le mieux, parvenant à rendre crédible son personnage de mère célibataire fragile et enfantine, comme si son aura avait réussi à maintenir à distance toutes les scories imposées par la direction d’acteurs.
"Du Vent dans mes mollets" fait partie de ces films destinés à plaire, et particulièrement aux lecteurs d’Anna Gavalda, Eric-Emmanuel Schmitt ou Muriel Barbery. Pour cela, il ne recule devant rien, et comme il ne réussit jamais à susciter l’émotion par la grâce naturelle de son récit ou la sincérité de son propos, il ne recule devant aucun truc, le plus énorme et le plus putassier étant l’épisode final, souligné à coup de flash-back au ralenti, de filtre Davidhamiltonnien, de fleurs de pissenlit tournant dans l’air et de musique lacrymale impérative. Je parlais de sincérité et de maladresses dans le premier film. Grave erreur : tout est fabriqué, et bien plus que de maladresse, c’est de malhonnêteté dont il faut parler ici.
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