Toujours très inspiré lorsqu’il s’agit de réaliser un film à la noirceur difficilement mesurable, James Gray quitte notre époque contemporaine pour un retour dans les années 20. New-York, terre promise pour une Europe en pleine récession, là ou débarquent la masse humaine en quête du rêve américain, est le centre d’intérêt du réalisateur qui dresse ici un tableau peu différent de ce à quoi il nous avait habitué jusqu’alors. Oui, l’époque change mais le propos reste sensiblement similaire, entre romance, criminalité et psychologie. Légèrement déçu par le relative naïveté du scénario, tout n’étant ici que peu passionnant, soulignons tout de même qu’en terme d’esthétisme, The Immigrant est une très belle découverte artistique. L’on redécouvre les quartiers défavorisés de New-York, comme nous les avait si bien montrés Coppola lors de la phase préquel de sa saga le parrain, comme l’on les avait découvert chez Sergio Leone dans Il était une fois en Amérique. Oui, faute d’être le film majestueux tant attendu de la part de James Gray, The Immigrant est au moins une très belle reproduction d’une époque depuis 100 ans révolue.
Si le réalisateur fait une nouvelle fois confiance, à juste titre, à son acteur fétiche, Joaquin Phœnix, James Gray ratisse cette fois-ci dans les angles les plus improbables pour offrir le rôle majeur de son œuvre à la française Marion Cotillard, populaire Outre-Atlantique d’avantage qu’en ses terres. L’actrice, à la beauté sournoise et au regard de femme battue travail pour l’occasion dans les meilleures dispositions. Oui, impeccable aussi bien en polonais phonétique qu’en anglais avec accent, impeccable dans son jeu triste et à la fois très humain, l’actrice trouve sans doute là à pouvoir vraiment se démarquer aux Etats-Unis. Si finalement le tandem Phœnix - Cotillard bouffe littéralement l’écran, soulignons que Jeremy Renner parvient tout de même à venir faire de l’ombre au tandem avec une bonne humeur presque curieuse dans cette fresque noire.
Comme son titre l’indique, The Immigrant s’intéresse à l’immigration massive aux USA au début du siècle passé. Pour autant, James Gray semble survoler le sujet sans trop s’attarder ni sur la question politique ni même sur les aspects techniques d’un tel déplacement de population. Tout est ici prétexte à ce que soit exploitée la misère des femmes auxquelles l’on offre l’Amérique en couchant. Oui, tout le paradoxe tient ici au fait que le maquereau est aussi l’amant. Bruno, alias Joaquin Phœnix est un personnage hautement énigmatique qui fait le bien en sachant pertinemment faire le mal. Peut-on sauver une âme de la pauvreté en monnayant son humiliation? C’est là la question que pose le réalisateur. Le sujet est donc intéressant mais le traitement manque singulièrement de rythme, d’envergue, les personnages étant très vite enfermé dans le carquois d’une interprétation d’école. Bref, tout manque un peu de tonus malgré toutes les meilleures intentions du monde.
Si l’on attendait le réalisateur au tournant, l’on ne peut réellement se satisfaire d’un film certes beau, certes attachant, mais globalement trop timide. Oui, Alors que le réalisateur nous avait bluffé avec son excellent La nuit nous appartient, alors qu’il avait offert à Tim Roth, à Mark Wahlberg et Charlize Theron quelques uns de leurs meilleurs rôles, il semble ici s’ennuyer malgré les belles prestations de ses acteurs. L’on souhaite dès lors au réalisateur de sortir le bout du nez de son carquois de film noir pour, comme on a pu se laisser entendre, pour la science-fiction. Pourquoi pas. En somme, The Immigrant, c’est du James Gray trop timoré, un film que l’on attendait plus volumineux, malgré son concept, sa très belle mise en scène et ses acteurs impeccables. 12/20