Le cinéma de James Gray confronte toujours ses personnages à des situations qui les forcent à revoir leur sens moral. Dans The yards, Leo témoigne contre sa famille qui l’avait pourtant aidé à sa sortie de prison. Joaquin Phoenix dans La nuit nous appartient ne trouve pas d’autre solution que d’entrer dans un corps de métier qu’il déteste pour venger son frère. Le scenario pousse toujours les personnages de Gray à dépasser leur condition, à prendre des décisions morales fortes que leur impose la vie.
Dans The immigrant Ewa se voit elle contrainte de remettre en cause sa foi, en vendant son corps, afin de sortir sa sœur d’ Ellis Island. Les personnages de Gray ne sont donc jamais figés dans leur intégrité. Le scenario les forcent à se remettre en cause, mais sans pour autant les changer. Il questionne simplement le bien fonde de ce en quoi ils croient. Le film pose la question de savoir jusqu’où est-on prêt à aller pour trouver le bonheur. Pourquoi s’accrocher a des valeurs abstraites quand le concret de la vie nous pousse dans nos derniers retranchements. Ce n’est pas pour autant de dire que ce sont des personnages faibles, loin de la. Rarement au cinéma je me retrouve face a un film qui me met face a des dilemmes de la force de ceux de Gray. The immigrant ne déroge donc pas à la règle, on navigue en terrain connu, mais le film ne se cantonne pas non plus à ces questionnements.
Le dernier film de Gray est en effet celui qui est le plus américain, dans le sens de celui qui parle le plus de son pays. Il est évidemment question dans The immigrant du rêve américain. Ou plus exactement du non rêve américain car le film est loin d’être un rêve. Des le premier plan on se doute que tout ne va pas être rose. En filmant la statue de la Liberté de dos, dans le brouillard en travelling arrière le symbole prend un tout autre sens. L’Amérique n’aura rien d’accueillant, rien d’une terre de liberté. De toute façon et on va l’apprendre quelques minutes après, les des étaient déjà pipes avant que Ewa et sa sœur n’aient pose le pied a terre. Pourtant, dans la longue file d’attente, les deux sœurs sourient encore, s’imaginent un avenir heureux. Ca ne durera pas longtemps. Leurs premiers contacts avec l’Amérique sont maladie, expulsion, mensonges, corruption, proxénétisme. Voilà l’image de l’Amérique pour ces immigrantes.
Le film se sert de trois notions fortes pour parler de l’Amérique. L’argent, le revolver et le spectacle.
Assez vite, il est donc question d’argent. D’une certaine manière il est responsable de la liberté d’Ewa, lorsque Bruno paye le garde pour la sortir de la ligne des expulsés, et de son asservissement. Elle a besoin d’argent pour sortir sa sœur d’Ellis Island. Pas d’autres moyens que de payer. Il y a beaucoup de scènes ou l’argent circule. Bruno paye le gardien, Ewa le vole de la quête de ses collègues, les flics se servent dans la chaussette de Bruno après l’avoir passé à tabac. Toujours l’argent est lie à une idée de perversion, jamais dans une vision positive.
Le pistolet, et par extension la violence, aussi n’apportera rien de bon. Bruno et Emil sont des cousins en conflit, ce sont un peu les ancêtres de Leo et Willy de The yards et ils se battent comme les deux frères de La nuit nous appartient. On sent encore une fois dans cette famille une histoire compliquée, pleine de trahison et de ressentiment. Mais ce n’est pas au centre du film comme ca pouvait l’être dans les réalisations précédentes de Gray. Mais c’est toujours la, avec force. Des que le revolver est montre a l’image, on sent que le drame passe encore un cran.
Peu avant l’introduction du flingue il y avait déjà eu deux affrontements entre les cousins. Au théâtre s’engage une course poursuite entre les cousins qui finisse par tout mettre sans dessus dessous. La scène, par sa chorégraphie, sa fluidité, son contrôle malgré le chaos m’a fait pense au final de La règle du jeu. Gray ne s’est par ailleurs jamais cache d’être un grand admirateur de Renoir. De toute façon on savait depuis La nuit nous appartient, tout la maitrise de Gray lors des scènes de foule.
Je ne l’ai pas dit mais Bruno est donc le directeur d’une troupe de danseuse exotique de Cabaret. Il dirige son petit monde d’une main ferme mais juste selon une des employées. Il est le metteur en scène devant la camera.
D’ un autre cote le film met Ewa, une fille perdu dans un monde qu’elle ne reconnaît pas, qui lui est devenu étranger. Mise cote a cote, ces deux idées n’ont pas grand chose à faire ensemble. Sauf quand on connaît la position de James Gray à Hollywood. Un type un peu a part, dont les films ne sortent qu’en catimini dans son pays. Ignoré par les critiques locales mais adulé en Europe. Jamais sélectionné pour les Oscar mais qui se retrouve assez régulièrement sur la Croisette. Et puis on a entendu aussi dans les interviews que ce film, il l’avait aussi fait pour son aspect personnel. Alors bien sur il parlait de sa famille, elle même passée par la case Ellis island. Mais le cœur du film c’est quand même cette fille perdu et seule dans ce milieu du spectacle. Et on se dit alors que Gray c’est un peu ce mix entre Bruno et Ewa.
Les deux moments les plus forts du film sont des moment où le cinéma et la mise en scène tente de faire coexister ces deux personnages dans un même plan, ou du moins dans le même espace d’un plan. Lors de la première scène dans l'appartement de Bruno, la cloison sépare l'image en deux pour délimiter l'espace des 2 personnages. Et quand Ewa passe la porte, quand on pense qu’elle va finalement le rejoindre dans son espace, c'est pour en arrière plan passer dans une autre pièce.
Et il y a ce plan final, le plus beau vu cette année et vu depuis un bon moment d’ailleurs au cinéma. Par un habile dispositif optique, les deux personnages sont cote a cote alors qu’il n’ont jamais etes plus eloigne, aussi bien physiquement que moralement. Cette fin m’a laisse sur les genoux, terrasse par le destin de ces deux personnages.
Malgre les doutes et la crainte au depart, Gray reussi a faire un nouveau chef d’oeuvre, absolument coherente avec son travail precedent mais qui va aussi au dela, qui se renouvelle. C’est un auteur dont on aurait pu avoir peur qu’il s’enferme dans ses thematiques mais qui montre qu’il a encore des choses a dire. Et ce n’est pas son prochain projet de film en foret amazonienne qui viendra dire le contraire.