« Mon pouvoir, excusez-moi, c’est une vaste rigolade. Le vrai pouvoir stable, c’est le pouvoir du capital. Il est tout à fait normal que le vrai pouvoir s’exerce. »
Cette phrase de Franz-Olivier Giesbert résume très bien ce que cherche à démontrer cet excellent film documentaire qui évoque les liaisons dangereuses entre journalistes et décideurs (dirigeants de grandes entreprises, responsables politiques…), et met à mal la sacro-sainte trinité « pluralisme – indépendance – objectivité » revendiquée pourtant par tout journaliste un tantinet soucieux d’éthique…
En 1932, l’écrivain et philosophe communiste Paul Nizan publie « Les chiens de
Serge Halimi, auteur en 1997 de l’essai « Les nouveaux chiens de garde », qui venait en résonance avec le livre de Paul Nizan paru en 1932, « Les chiens de garde », co-signe ici le scenario de ce film, co-écrit par les deux cinéastes, Gilles Balbastre et Yannick Kergoat, et également par des journalistes membres d’Acrimed (association née du mouvement social de 1995 et faisant fonction d’observatoire des médias), Pierre Rimbert et Renaud Lambert.
Soulignons d’emblée l’humour de ce film pamphlet qui, entre montages savoureux d’extraits d’émissions, démonstrations ludiques par l’image, analyses critiques pertinentes des économistes Frédéric Lordon et Jean Gadray, du sociologue François Denors, et des journalistes Michel Naudy et Henri Maler, se laisse voir sans aucun ennui et temps mort !
Plus concrètement, ce film démontre bien les conséquences malsaines dues au fait que journalistes, politiques et autres décideurs font partie de la même caste, du même milieu social, avec les mêmes intérêts (économiques…), qui font que, évidemment au sein de ce milieu consanguin, qui se réunit volontiers chaque mois lors des fameux dîners du Siècle , la connivence entraîne forcément des compromissions, qu’on peut voir comme une perte d’« indépendance », voire d’« éthique ».
Et les exemples cités, souvent très drôles, ne font pas de cadeaux…
Ainsi, Jean-Pierre Elkabach pris en flagrant délit de flatterie éhontée envers son patron, Arnaud Lagardère – Luc Ferry et Jacques Julliard, invités a priori pour confronter leurs avis théoriquement divergents, se renvoyant la balle avec forces complicité et amabilité – Michel Field faisant la promo de Casino ou d’Arnaud Lagardère, encore lui…, lors d’un congrès UMP - Alain Duhamel multipliant en excès les éditoriaux (jusqu’à une dizaine à la fois), illustrant à lui seul cette dérive d’omniprésence que dénoncent aussi les deux cinéastes…
Ainsi ces journalistes, si compréhensifs avec les puissants (Laurent Joffrin mettant plus d’une minute pour poser, avec circonvolution et affectation, une question gênante à Jacques Chirac…), mais durs et autoritaires avec les plus faibles (David Pujadas demandant avec insistance et fermeté au représentant syndical, Xavier Mathieu, de revenir au calme… - idem avec Yves Calvi face à un éducateur de banlieue…).
Ainsi tous ces médias, possédés par un noyau réduit de grands décideurs (les Bouygues, Lagardère, Bolloré, Dassault, Pinault…), qui occultent les reportages gênants (cf l’exemple de TF1 refusant d’évoquer le défaut de construction de la centrale nucléaire de Flamanville, dont le chantier est dirigé par Martin Bouygues…).
Ainsi également ces prestations de « ménages », ces animations de colloques d’entreprises, payées à prix d’or, que de nombreux journalistes acceptent de faire, au mépris de toute éthique (cf l’exemple d’une Isabelle Giordano qui invite sur son émission de France Inter intitulée « Service public » le chef d’entreprise pour lequel elle a animé quelques jours plus tôt un séminaire…)
Ainsi, ces experts, sollicités à tout bout de champ, qui squattent depuis des lustres les plateaux TV, toujours présentés comme universitaires ou chercheurs, alors qu’ils ont des accointances avec les plus grandes entreprises du CAC 40 (en tant qu’administrateur ou parce qu’ils y animent des séminaires…), sûrs d’eux-mêmes, condescendants, et incapables de la moindre autocritique, même quand ils sont pris en flagrant délit d’incompétence (cf l’exemple flagrant d’Alain Minc et de l’économiste Daniel Cohen qui assuraient en 2008 que la crise financière était passée…)
Ainsi, surtout, ce côté « pensée unique », qui nous rabâche toujours les mêmes faits divers (destinés à « faire diversion », comme le disait si bien Bourdieu), les mêmes rengaines de « réformes nécessaires »… les mêmes caricatures (sur les cités de banlieue, l’insécurité…), montrant surtout le mépris de classe dont font preuve les journalistes, trop inféodés eux-mêmes au pouvoir.
Bref, ce film passe au moulinet tout ce petit gratin, ce monde d’auto-satisfaits, qui semblent avoir oublié depuis belle lurette les concepts de « pluralisme, indépendance, objectivité », et qui rappelle aussi, malheureusement, ô combien l’opportunisme et l’ambition, dans le mauvais sens du terme, peuvent dévoyer les qualités et l’éthique du journalisme.