Hospitalité
Les intrus
Du cinéaste japonais, Kôji Fukada, j’avais découvert en 2016, le remarquable Harmonium, - primé à Cannes -, suivi en 2020 par L’infirmière. Retour en arrière sur la carrière de ce cinéma avec ces 96 minutes d’une comédie dramatique plus que grinçante. Au cœur de Tokyo, la famille Kobayashi vit paisiblement de l’imprimerie. Quand un vieil ami de la famille réapparaît, aucun ne réalise à quel point il est en train de s’immiscer progressivement dans leur vie… jusqu’à prendre leur place. Une pochade sur le sujet grave de l’immigration au Japon. Une véritable curiosité.
Le film devait s’intituler à l’origine Rotary, en référence aux systèmes d’impression rotative mais aussi à l'impermanence de la vie qui décrit des circonvolutions et finit embobinée, explique – si l’on peut dire -, le réalisateur. Cette comédie corrosive devait sortir en 2010… pour des raisons que j’ignore, elle n’arrive sur nos écrans qu’aujourd’hui. Résumons le contexte social : le Japon est le quatrième pays du monde à accueillir le plus de travailleurs étrangers, avec 2,5 millions d’étrangers qui vivent et travaillent au Japon. Pourtant, le gouvernement du pays affirme catégoriquement ne pas vouloir accueillir d'immigrants. En ce qui concerne les réfugiés, leur taux d’acceptation est inférieur à 1%, un chiffre extrêmement bas comparé à celui des autres pays développés. Le climat au Japon est tel que les étrangers sont de plus en plus perçus comme responsables de la criminalité du pays – ça nous rappelle quelque chose -. Ici, vagabond Kagawa voit dans l’hospitalité un moyen de faire cohabiter ensemble les étrangers, les Japonais, les sans-abris, les criminels ou qui que ce soit. Certains feront la comparaison avec son Harmonium dont le thème est assez voisin mais sur un ton plus angoissant. D’autres penseront même au Théorème de Pasolini. Mais ici, le ton est plus léger, plus déjanté, pour cette fable sur la zizanie qui tend volontiers vers l’absurde dans ce presque huis-clos. Je ferai plutôt référence aux Parasites de Bong Joon Ho. Certes le cinéma est moins abouti, mais son intérêt est réel.
Côté casting, les Kenji Yamauchi, Kanji Furutachi, Kiki Sugino, que nous connaissons peu sont impeccables. La roublardise de l’un et les effarements des autres sont un régal dans un monde millimétré où tout va basculer à une vitesse effarante. L’accélération du processus d’envahissement va crescendo jusqu’à l’absurde et c’en est que plus réjouissant. Voilà une jolie manière de découvrir la naissance d’un cinéaste qui a fait plus que ses preuves depuis plus de 10 ans, avec cette allégorie au vitriol sur la peur de l’autre au pays du Soleil Levant.