Trois films en deux ans et une mort prématurée à 24 ans à bord de sa Porsche 550 Spyder, le 30 septembre 1955 aux abords de Salinas (à Cholame exactement) ont fait de James Dean une star pour l'éternité même si l'entrée dans le XXIème siècle a vu son étoile légèrement pâlir. Emblème de l'adolescent rebelle, mal à l'aise au sein de l' "american way of life" dont l'essence repose sur un consumérisme effréné imposé à tout crin par des capitalistes avides de profit et de pouvoir, James Dean s'impose très vite auprès de la jeunesse et les trois seuls films dont il a été la vedette deviennent cultes aussitôt après sa mort prématurée. "Rebel without a cause" ou "La fureur de vivre " en français occupe sans conteste la première place du trio au regard de la résonnance avec la mort de James Dean de la fameuse course à la mort face à une falaise qui constitue le clou du film. Nicholas Ray qui vient de réaliser "Johnny Guitare" (1954) et qui a déjà montré sa préoccupation pour les tourments de l'adolescence dans le somptueux "Les amants de la nuit" (1949) puis dans "Les ruelles du malheur" (1949) est contacté par la Warner pour mettre en scène l'adaptation d'un roman du psychiatre Robert M Lindner sur les adolescents violents. Suivant les conseils d'Elia Kazan, il choisit James Dean pour le rôle principal. Le scénario écrit par Irving Shulman et Stewart Stern implante l'action sur un campus universitaire de Los Angeles où le jeune Jim Stark (James Dean) vient de s'installer avec ses parents. L'incipit très signifiant nous montre un jeune homme ivre, recroquevillé sur lui-même en position fœtale, symbole un peu trop voyant d'un refus de grandir, qui conduit au commissariat du quartier va y croiser Judy (Natalie Wood) et Platon (Sal Mineo) les deux autres héros du film qui comme lui se réfugient dans la petite délinquance faute de repères parentaux pour les guider vers la liberté qui s'ouvre à eux. L'arrivée des parents de Jim, archétypes du couple bourgeois un peu trop âgé, incapables de voir leur fils grandir va indiquer très vite la morale qui sous-tendra tout le propos. Le renoncement des parents trop absorbés à leur réalisation matérielle est le déclencheur de ce mal de vivre qui mènera une décennie plus tard au mouvement hippie qui lui-même sera absorbé par le capitalisme triomphant des années 80 que dénoncera à son tour le cinéaste Larry Clark de manière beaucoup plus violente que Nicholas Ray. A partir de ce postulat de départ sans équivoque, le film accumule tous les poncifs encore accentués par un James Dean au jeu outrancier complètement ligoté par la fameuse méthode de l'Actor's Studio qui aura fait bien des ravages sur toute une génération d'acteurs. Marlon Brando, Paul Newman, Rod Steiger et Steve Mac Queen auront vécu assez longtemps pour se libérer du joug du mentor de l'institution Lee Strasberg et atteindre la plénitude de leur art. Comme Marilyn Monroe, James Dean n'aura pas eu cette chance. Nick Ray très en phase avec James Dean qui le fascinait et peut-être en relation amoureuse avec la toute jeune Natalie Wood n'a pas ici sa lucidité habituelle et n'arrive pas à éviter tous les pièges tendus par un sujet se prêtant au manichéisme et aux scènes à fort potentiel lacrymal. Certaines comme celle paroxystique où Jim enrage devant ses parents, sorte de réplique de celle où Marlon Brando renverse la table dans "Un tramway nommé désir" (Elia Kazan en 1951), tombe à plat, allant même jusqu'à friser le ridicule. La scène finale dans l'observatoire abandonné où Jim, Judy et Platon se réfugient pour reformer à leur manière un court instant une sorte de famille idéale s'avère être le moment où Ray parvient enfin à retrouver le sens de l'urgence et la fougue qui caractérisent son cinéma. C'est en réalité Sal Mineo d'une sobriété à rebours du reste du casting qui constitue la véritable révélation du film. Le sujet du décalage entre les générations est intemporel, mais Ray pour une fois peu inspiré est passé à côté. Si l'on souhaite accéder à toute la complexité et la force de son œuvre, "La fureur de vivre" le film de plus connu de Ray, aujourd'hui très daté ne doit pas servir de repère intangible sous peine de passer à côté de chefs d'œuvre comme "Les amants de la nuit" (1949) , "Le violent" (1950), "La maison dans l'ombre" (1952) , "Les indomptables" (1952), "Johnny Guitare" (1954) , "Derrière le miroir" (1956), "La forêt interdite" (1958) ou encore "Traquenard" (1958).