Chez la graine, on aime bien les avants-premières. Parce qu’elles sont souvent révélatrices de la raison d’être d’un film. On n’a pas été déçu avec celle de 24 jours d’Alexandre Arcady, qui sort le 30 Avril. Hier soir à Nice, résumé d’une soirée qui sentait bon la récupération. Dans une salle comble, mais au trois quarts comblée d’invités.
Le 20 Janvier 2006, Ilan Halimi (Syrus Shahidi), après avoir dîné avec sa mère, se rendait à un rendez-vous galant. Un rencart dont il ne reviendrait pas. Le tristement célèbre « gang des barbares » avait organisé son enlèvement. Après des demandes de rançon et 24 jours de séquestration donnant lieu à des tortures, les bourreaux assassinèrent le jeune homme. L’affaire fut portée à la connaissance du grand public, et sa famille, notamment Ruth (Zabou Breitman), sa mère, et Didier (Pascal Elbé), son père, durent se battre pour faire reconnaître le caractère antisémite du meurtre.
Alexandre Arcady insiste sur la nécessité du devoir de mémoire. Et nous pensons également à sa suite, qu’il faut non seulement faire preuve de la plus grande fermeté à l’égard des actes racistes, mais toujours se rappeler que le spectre du fascisme et de la haine raciale erre toujours dans l’inconscient collectif. À propos des « justifications » philosophiques de telles dérives, vous pouvez lire l’article précédent sur Noé. 24 jours, réalisé avec l’accord, et semble-t-il, la bénédiction de la famille Halimi, est certainement un témoignage important, et a le mérite d’exister. Un film peut vivre plusieurs vies, et celui-ci propagera longtemps son message : une alerte qui dit que la barbarie n’est jamais loin. Bien que les qualités cinématographiques du film ne soit pas exceptionnelles, et que l’enjeu dramatique semble amoindri par l’aspect documentaire de l’œuvre, 24 jours est un travail d’histoire immédiate aux enjeux intéressants. Malgré tout, quelques informations dévoilés avant la projection du film, et quelques questions, pendant le débat, ont attiré notre attention.
Tout d’abord, le maire de Nice, Christian Estrosi et Eric Ciotti, président du conseil général des Alpes-Maritimes, étaient présents pour s’adresser au public, avant le réalisateur lui-même. Une présence incongrue. Premièrement, si le cinéma est parfois politique, on ne vient pas à une avant-première pour se faire piéger dans un meeting post-électoral. Deuxièmement, car le discours vibrant de ces deux députés, se réclamant républicains et humanistes, rentre en dissonance profonde avec leur programme électoral. Devons-nous rappeler les propos tenus par Monsieur Estrosi à l’encontre des populations roms dont il promettait qu’il les materait ? Ou bien, à propos de l’Islam, qu’il juge incompatible avec la démocratie ? Non, malheureusement, les faits sont tenaces. Et si la salle n’avait pas été remplis artificiellement de partisans, Monsieur le Maire n’aurait pas pris le risque de venir se ridiculiser en parlant d’« ouverture » et de « tolérance ». Il y a tant d’autre niçois, militants associatifs, par exemple, qui auraient été plus à même de parler de ces problèmes. Promouvoir un film, qui dénonce le racisme, par l’intervention d’une paire de politiciens xénophobes, drôle d’idée… L’indignation est sélective.
Autre aspect dérangeant de l’auto-promotion, Arcady annonce que le film, après avoir été projeté à l’Élysée, devrait se voir proposer comme matériel pédagogique au collégien et lycéen comme un appui pour expliquer la Shoah. On se demande qui a bien pu avoir cette idée saugrenue. Le fait-divers crapuleux qui a inspiré le film revête bien un caractère antisémite, dû à l’inculture crasse, et à la bêtise immonde, des membres du gang des barbares. Membres qui nous rappellent qu’il y a encore des dégénérés capable de croire au protocole des sages de Sion. Des idiots parmi d’autre, qui pullulent sur la toile, et partagent sur facebook, des liens estampillés « Nouvel Ordre Mondial » ou « Égalité et Réconciliation »… Mais des idiots doublés d’instincts sanguinaires. Des bêtes décérébrés. Cependant, c’est encore choisir la dictature du spectacle et de l’émotion, à la place d’une lecture historique raisonnée et argumentée. Un génocide ne peut être réduit à un fait divers, aussi horrible soit-il. Il y a des mots à dire, et des discours à tenir aux jeunes générations, qui ne peuvent se résumer à les choquer. Le rôle des enseignants est de faire venir à eux, la conscience de l’iniquité du racisme, par la force de leur raison. Sinon, ce n’est qu’un spectacle macabre de plus, un reportage du journal télévisé.
Enfin, Arcady appelle chaque spectateur à pousser ses amis dans les salles obscures pour voir le film. Une œuvre de salubrité publique, un acte citoyen et nécessaire, nous dit-il. Quitte à payer la place à ceux qui ne peuvent pas la payer. Nous nous interrogeons. Que vient faire cette percée marketing ici ? Si Alexandre Arcady considère son film comme une œuvre absolument indispensable à tous, alors qu’il la mette en téléchargement gratuit et légal. D’autant plus, qu’il se vante d’avoir obtenu des techniciens travaillant sur le film, une semaine de travail bénévole pour boucler le budget. Le réalisateur ne serait pas prêt au même sacrifice que son équipe ? C’est gênant.
En bref, 24 jours, d’un point de vue strictement artistique, n’est pas un film réussi. Néanmoins, pour ceux qui auraient déjà oublié quelles abominations sont encore possible, la piqûre de rappel peut-être utile, aux vues des résultats des dernières élections. Faites juste honneur aux nobles ambitions du réalisateur et télécharger-le.
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