Douze ans de travail, de multiples collaborations pour l'écriture, des projets avortés pour se consacrer à la dernière de ses oeuvres. Un film amputé, un gouffre pour son auteur qui ne retournera plus jamais de films jusqu'à sa mort en 1989.
Oui, nous parlons du mythique Il était une fois en Amérique. Tiré d'une histoire vraie, celle des mémoires d'un gangster juif de New-York, le dernier film de Sergio Leone, est une oeuvre d'une beauté sans pareille: magistrale, incommensurable, immortelle.
L'histoire, aux nombreuses intrigues mélées comme un noeud, s'intéresse à une bande de malfrats d'un quartier juif, de leur enfance à leur vieillesse, en passant par l'âge d'or de la Prohibition. Tout le film est construit sur un système de retours en arrière subis par Noodles, gangster vieillissant retournant dans la ville de sa jeunesse, à la recherche de son passé, à la recherche du temps perdu. Comment ne pas émettre un parrallèle avec l'oeuvre de Proust pour son immensité et sa nostalgie?
Avec une durée de presque quatre heures, Sergio Leone met à l'honneur une amitié qui bouleverse à chaque instant, à chaque plan. Il nous parle de réussite, de l'envie, de violence, de l'obsession de ses personnages, de l'amour et de la trahison. Dans cette ode lyrique, Leone rend hommage au cinéma américain, il clôt ainsi sa trilogie américaine ( Il était une fois dans l'Ouest, Il était une fois la Révolution), mais également toute son oeuvre, tant Il était une fois en Amérique apparait comme le bouquet final, la perfection inégalée d'une création qui est en tous les points remarquable.
Le thème principal du film, la nostalgie, n'a peut-être jamais été aussi bien montrée que dans ce film. Tout concorde à la faire couler de l'écran: le scenario complexe mais jamais confus, les raccords de temps somptueux sur un regard ( la danse de Deborah une des plus belles scènes), la composition exceptionnelle des acteurs: James Woods toujours très juste, Elizabeth McGovern et sa moue boudeuse, et Robert de Niro qui traverse les générations, les humeurs et qui d'un regard transmet la douleur et les lourds regrets de son personnage. La mélancolie est esthétisée par des plans qui rivalisent avec la peinture, comme celui du pont de Manhattan hanté par les touristes désormais, mais surtout par la musique d'Ennio Morricone, inoubliable, certainement l'une de ses plus belles créations. La musique n'est jamais décorative, c'est le motif profond du temps qui est passé, la reprise de Yesterday, une vieille rengaine espagnole Amapola sur laquelle danse Deborah, le thème romantique et sans oublier le fabuleux thème à la flûte de Pan.
Il était une fois en Amérique est un cocktail d'élégance, de crimes et d'obsessions, suivant la ligne directrice d'une nostalgie bouleversante, un passé qui est perdu, envolé, et duquel on ne peut que contempler les ruines laissées au temps présent.
Un film comme on ne peut en voir qu'une fois, qui prend son temps sans jamais totalement s'arrêter, qui blesse, et qui nous oblige à réflechir aux vestiges du passé.
La virtuosité de Sergio Leone consiste à avoir laissé une épopée nationale, totalisante et à la fois une oeuvre monumentalement intime.
Un diamant du cinéma, un bijou d'humanité, un film indétrônable.