On peut comprendre que "Il était une fois en Amérique" puisse décevoir, en particulier les amateurs d’action. Ma foi, quand on sait que l’intrigue se situe au moment de la prohibition en se focalisant sur deux truands, il me semble normal que les spectateurs sont dans l’attente de quelques scènes d’action : fusillades, poursuites à pied ou en voiture, enfin ce genre de choses. Bon il y en a mais elles sont rares, il faut bien le reconnaître. Mais pas suffisamment pour satisfaire les amateurs d’action, surtout sur une telle durée ! Alors ils s’ennuient, et trouvent le film plutôt vide, et ma foi ce genre de considération ne m’étonne pas. Sauf que ce long, très long métrage est bien plus riche qu’il n’y paraît, ce que les spectateurs déçus n’ont à mon humble avis probablement pas su voir. On sait Sergio Leone amoureux d’un certain cinéma, un cinéma où le développement des personnages et leur évolution était prisé. Au cours de ses réalisations, il est même passé maître en la matière, avec ses nombreux plans bien cadrés sur les personnages, ces personnages emblématiques qui passaient autant de choses voire plus que sur leurs propres dialogues. Et dès le début, on reconnaît la patte du cinéaste italien. Mais surtout et avant tout, on détecte une certaine mélancolie envers le cinéma d’antan. On peut le voir sur les plans effectués sur Robert De Niro, quand son personnage vieillissant se rappelle avec une certaine nostalgie toutes ces années passées. Des souvenirs toutefois contrariés par des questions auxquelles il cherche des réponses. Oui je crois qu’on peut parler de nostalgie, confortée par la double intégration on ne peut plus appropriée de la chanson "Yesterday" des Beatles. Aussi c’est pour cette raison que le dernier film de Sergio est considéré comme étant le testament de ce dernier. On peut même voir quelques références cinématographiques, parmi lesquelles "Il était une fois dans l’Ouest" par la juxtaposition de la musique de l’inimitable Ennio Morricone avec le maniement de l’instrument que Philip Stein dit Cockeye (William Forsythe) utilise avec le plus grand soin. Donc oui, il y a bien quelque chose de personnel dans ce film. Et ça se ressent. Pensez donc : une écriture du scénario qui aura pris plusieurs années à partir du roman "The hoods" de Harry Grey, un tournage qui prit plus d’un an, un budget initial de 3 millions de dollars explosé puisqu’il a été multiplié au moins par 10, et un casting pour le moins chaotique. Gérard Depardieu devait à l’origine prendre le rôle de Max, secondé par Jean Gabin pour les plus vieux jours du personnage. Dans les faits, pas moins de 200 auditions furent menées pour camper ce personnage un peu tête brûlée sur les bords. En prime, la nostalgie était telle chez Leone qu’il était même désireux d’enrôler des stars des années 40 telles que James Stewart, Henry Fonda pour ne citer qu’elles. Oui Sergio Leone a vu les choses en grand. Et vous savez pourquoi ? Parce qu’il avait pleinement conscience que le cinéma était en pleine mutation. Alors il voulait marquer le coup et montrer ce cinéma qu’il chérissait tant une dernière fois. Et c’est vrai qu’il a fait les choses en grand : le spectateur n’a aucun mal à se replonger en ce début du XXème siècle tant la reconstitution de l’époque a été soignée jusque dans ses moindres détails. Certes on remarquera en premier les décors, que ce soit au niveau des bâtiments ou des grilles en fer forgé de la gare, mais aussi au niveau des costumes, des véhicules. Mais avez-vous remarqué les affiches, aujourd’hui très recherchées tant le vintage est à la mode, les décors du fumoir à opium, et tous ces autres accessoires anodins ? Aussi, j’aurai été curieux de voir le tournant que Sergio Leone aurait opéré s’il avait pu aller au bout de son projet cinéma sur le siège de Leningrad en s’appuyant sur le livre "Les 900 jours de Leningrad" de Harrison Salisbury. Il n’empêche que tous les acteurs se sont hissés au niveau que le cinéaste attendait d’eux. Robert De Niro bien sûr, désormais acteur emblématique pour incarner un personnage de la pègre, mais aussi James Woods, souvent habitué lui aussi à des rôles de crapule. Quoique je trouve que son côté « cinglé » aurait pu être un peu plus mis en évidence au fur et à mesure que l’intrigue avance, tout simplement parce que l’argent appelle l’argent, et que dans la plupart de ce genre de cas, on en veut toujours plus, quitte à mettre directement sa vie en péril pour arriver à ses fins. A côté d’eux, débute une jeune actrice qui aurait pu être intimidée par la présence de ces deux vedettes, j’ai nommé Jennifer Connelly. Mais en dépit de son jeune âge (elle avait environ 13 ans), elle montre un sacré caractère ! Un sacré caractère repris avec brio par Elizabeth McGovern pour interpréter Deborah plus âgée, quoique avec une touche de sensibilité plus développée. Eh oui, deux actrices pour le même personnage que 35 années ont eu grand peine à changer, quelle ressemblance étonnante ! Mais les personnages les plus marquants selon moi reviennent à Tuesday Weld sous les traits de Carol et à Amy Rider dans la peau de Peggy. Sans doute que la légèreté doublée de frivolité de leur rôle respectif y est pour quelque chose, en particulier du côté de Carol quand elle est amenée à tenter de reconnaître son assaillant. Mais plus encore, c’est la désinvolture de Peggy que je préfère qualifier de naturel chez son interprète. Et puis Sergio Leone est connu aussi pour savoir mettre en scène des gueules. Même si elles n'occupent pas le devant de la scène à proprement parler (loin s'en faut), il y en a tout de même quelques unes comme James Russo (Bugsy). Alors, "Il était une fois en Amérique", un grand film ? Assurément oui. Un chef-d’œuvre car on prend là une vraie leçon de cinéma. Pour autant, je ne peux me résoudre de donner la note maximale car c’est un film que je ne regarderai pas tous les jours à cause d’une part de sa durée, et d’autre part de quand on a capté tous les éléments dont ce film regorge, on pourrait en venir à s’ennuyer par le relatif manque d’action. Il n’en reste pas moins des scènes restées gravées à jamais dans l’Histoire du cinéma, comme par exemple ce plan sur le pont suspendu de Manhattan depuis la rue Washington… c’est l’affiche du film !! Qu’on aime ou pas ce film, reconnaissons tout de même le fabuleux héritage que Sergio Leone nous a laissés et qui aura marqué à jamais le cinéma américain. Le cinéma tout court d’ailleurs.