Un certain Ransom Riggs, accessoirement un admirateur du Tim Burton, publie en 2011, en trois tomes, Miss Pérégrine et les enfants particuliers. Logiquement, voire immanquablement, le célèbre réalisateur adapte, cinq ans plus tard, les écrits de l’auteur, tentant pour le coup d’effacer les doutes de la critique consécutifs à la sortie de son récent Big Eyes. Tim Burton à t-il perdu de sa superbe? Celui-ci mise donc, en réponse à ses quelques détracteurs, sur l’adaptation d’une histoire comme qui dirait parfaitement dans ses cordes. Peut-être trop, d’ailleurs. Ici, Burton fait du Burton, délaissant son élan gothique coutumier, durant les décennies passées, mais en revenant inlassablement vers ses marottes, caricaturant son œuvre, stigmatisant ses codes dans une sorte de fête foraine filmique produite en son honneur, bestiaire d’enfants mutants, effets visuels soignés à l’appui.
Si Tim Burton parvient en effet à livrer là un film à la hauteur de sa technique, s’il parvient à divertir honnêtement son public, novices ou aficionados de la première heure, il manque ici une véritable magie, la magie d’un Edward aux mains d’Argent, d’un Beetlejuice, d’un Big Fish. Pire encore, Burton semble ne pas s’immerger complètement dans son œuvre, jouant d’abord le rôle d’un maître d’orchestre assurant une commande, peu soucieux d’inscrire son présent travail pour une quelconque postérité. Oui, le grand Tim Burton prend ici des allures de simple faiseur, d’un artisan convaincu qu’avec une renommée prestigieuse et un budget conséquent, il suffit de pointer le bout de son nez pour que la machine ronronne. Erreur. Miss Pérégrine et les enfants particuliers, à ce titre, sans être pour autant un film de mauvaise facture, n’enchante que bien peu, déroulant son intrigue, parfois cahoteuse, à l’image des grands blockbusters de l’industrie hollywoodienne contemporaine. Tim Burton était un visionnaire doté d’une remarquable indépendance créatrice. Il est devenu un ouvrier à la solde du pur Entertainment. Ses passages chez Disney y sont-ils pour quelque chose?
Enfantin, quoique ce fût sans doute le but souhaité, le film s’appuie principalement sur sa photographie soignée et le bestiaire amusant de gamins particuliers, un point fort artistique. Coté comédiens, en dépit d’une Eva Green un peu terne qui n’a pas besoin de forcer pour laisser transparaître un certain charisme, nous ne sommes vraisemblablement pas gâtés. Le jeune Asa Butterfield, impeccable chez Martin Scorsese il y a quelques années, semble ici peiner à trouver le juste ton, entre niaiserie et maturité. Sans doute l’acteur est-il actuellement coincé entre deux âges. On lui pardonnera ses errements sachant qu’en dépit de cette presque contre-performance, il reste un espoir de demain. Celui qui s’en sort le moins bien, on s’en doutait bien, c’est finalement Samuel L. Jackson dans la peau du grand méchant, un grand méchant en carton. L’acteur, devenu le passe-partout du gros divertissement hollywoodien, le bouche-trou, semble-t-il, des grands réalisateurs, livre une performance clairement anodine, en faisant des caisses de la moindre de ses apparitions. A ce stade, nous ne parlons plus d’un quelconque charisme, talent, mais simplement de pur alimentaire.
Bref, bien que pas désagréable, le dernier né de l’écurie Tim Burton ne pourra rassurer ceux qui pensent que le cinéaste reconnu des années 80 et 90 est bel et bien porté disparu. Du pur cinéma de divertissement assumé, au scénario boiteux au service de l’action et d’une féérie qui ne prend pas réellement. Aisément oubliable, parfaitement anodin, voire insignifiant, en regard aux exploits passés de Tim Burton, voici un long-métrage qu’il n’est nullement nécessaire d’inscrire au classement des meilleurs crus 2016. On attend, évidemment, un sursaut d’orgueil de la part du réalisateur, à moins, bien sûr qu’il ne se contente du rôle de tâcheron sur l’une des innombrables futures adaptations Disney, Dumbo en l’occurrence. Dans ce cas, Tim Burton pourrait ne plus être qu’un doux nom évoquant de beaux souvenirs. 09/20