Comment imaginer la sinistre bouche béante du masque de Ghostface sans que le nom de Wes Craven ne vienne immédiatement en tête ? Rarement un maître de l'horreur sera autant resté aux manettes de la saga qu'il a lui-même initié et sa triste disparition semblait avoir entraîné l'arrêt définitif de "Scream", sans compter désormais l'absence de la plume de Kevin Willlamson (souvent malmenée par les producteurs au fil des épisodes) sans qui la franchise n'existerait tout simplement pas.
D'ailleurs, après avoir été un modèle de satire du slasher (tout en étant un de ses meilleurs représentants, un tour de force qui restera à jamais inégalé !), de ses suites, du concept de trilogie et, avec son quatrième volet, de la fournée de remakes de grands titres de l'horreur des années 2000-2010, la saga paraissait elle-même être arrivée au bout de son regard critique (et autocritique) sur le manque d'imagination hollywoodien à l'égard du genre dans lequel elle s'inscrivait.
Alors quand fut annoncé un cinquième opus élaboré en l'absence des têtes pensantes originelles (Williamson n'est que producteur), remplacées notamment par le duo Matt Bettinelli-Olpin & Tyler Gillett à la réalisation, il faut bien reconnaître que la méfiance s'est installée : "Scream" allait-elle connaître la suite de trop, devenant elle-même un objet de moquerie à la "Stab", sa franchise fictionnelle et parodique, d'autant plus que sa série TV dérivée s'était déjà achevée sur une troisième saison particulièrement lamentable, prouvant que des mains malavisées étaient apparemment incapables d'égaler ne serait-ce qu'un orteil de l'esprit d'un bon "Scream" issu du tandem Craven/Williamson ?
Évidemment, la simple idée de retrouver et de prendre des nouvelles du trio historique de survivants incarnés par la superbe et iconique Neve Campbell, Courteney Cox (dont on commence parfois à confondre le visage figé avec celui de Ghostface, inquiétant...) et David Arquette, ajoutée à notre amour immodéré envers la saga, allait inévitablement nous pousser à mettre ces a priori de côté pour laisser une chance à ce cinquième volet sobrement intitulé "Scream".
Et, bon sang, que l'on a bien fait tant les réalisateurs du sympathique mais trop inégal "Wedding Nightmare" passent eux-mêmes un cap pour se montrer à la hauteur du titre "Scream" et même surpasser le volet précédent sur plusieurs plans !
On pensait bêtement que "Scream" était arrivé aux limites de son discours satirique, que nenni ! Depuis le dernier volet, l'évolution de l'horreur/épouvante, entre des films d'auteur aux thématiques se voulant plus exigeantes et des "requels" (reboot/sequel) de franchises cherchant à s'actualiser à partir du décalque de leur premier opus, offre un savoureux terreau à ce nouveau long-métrage qui, tout en réutilisant sciemment les sources du film d'origine va réussir l'exploit de combiner la critique savoureuse de ce concept contemporain de "suite-héritage", le spectacle d'un slasher violent et bien pensé et un passage de flambeau entre ancienne et nouvelle génération peut-être plus convaincant que celui tenté par son prédécesseur sur les racines "woodsboroéennes" de la saga.
Loin du délire méta oubliable de celle de "Scream 4", la simplicité de la séquence d'ouverture ancre instantanément à elle seule le regard malicieux de ce donc "requel" sur son propre statut où, déjà, les bons mots sur le pan auteurisant du cinéma d'horreur actuel se disputent à une réappropriation moderne de l'introduction culte du premier film ici pleinement justifiée (et qui n'a rien de gratuite au contraire de bien d'autres) par le fait qu'elle devient véritablement le détonateur sur lequel l'intrigue va tisser la réunion des motivations de ses anciens et nouveaux personnages dans les événements meurtriers à venir. Comme d'habitude complètement conscients du nouveau format de suite où ils sont prisonniers et à propos duquel ils dissertent de ses règles spécifiques pour notre plus grand plaisir, les jeunes protagonistes vont donc évoluer aux côtés des plus expérimentés dans un "Scream" puisant sans cesse dans ses fondations au moyen de lieux emblématiques ou de noms connus dans le but de surligner cette notion d'héritage, trop souvent surexploitée, et les astuces grossières de cette démarche (en allant même jusqu'à utiliser certains artifices techniques attachés à ce type de requel, on vous laisse la surprise) pour s'en repaître avec humour, les détourner et finalement chercher à les renouveler au profit d'une intrigue inédite.
Bien sûr, tout n'est parfait, le schéma "screamesque" global est de fait figé par son déroulement en actes incontournables, les nouveaux jeunes héros sont loin d'être tous équitablement marquants et quelques gimmicks voulant s'amuser de nos attentes en matière de sursauts ne fonctionnent guère mais, en tant que tel, ce "Scream" réussit à s'imposer comme un bon slasher, mené par un Ghostface acharné dans la violence de ses meurtres (peut-être le "Scream" le plus démonstratif en ce sens jusque-là), où les surprises sont entretenues avec roublardise (jusqu'à la dernière partie, et même si quelques soupçons sont présents, le film arrive à nous faire douter sur l'identité du ou des coupable(s)) et qui se montre enfin moins timide pour toucher à des éléments essentiels de sa mythologie.
Mieux, le film arrive à entretenir un équilibre entre sérieux et humour bien plus efficace que "Scream 4" (qui répétait parfois à l'excès les répliques légères, voire ridicules, en vue de dédramatiser la gravité de ses affrontements) et, dans le même temps, à utiliser les figures de Sydney, Gale et Dewey avec parcimonie, laissant souvent le devant de la scène à la nouvelle génération et donc à la relève assumée le soin d'exister (l'acte final, réussi et loin d'être avare en rebondissements, en sera la meilleure preuve où chacun aura son moment pour briller, et ce qui que soit devant ou derrière la lame du couteau).
À la sortie du film, il est vrai que, comme après le précédent, on se demande quelle pourrait être la direction prise par un potentiel "Scream 6" après le statut de requel satirique de celui-ci... Et puis, on se dit vite que si, dans dix ans, Matt Bettinelli-Olpin & Tyler Gillett revenaient avec un slasher aussi violent et rondement mené afin de rire de nouveaux concepts improbables que le cinéma de genre et certaines de ses franchises les plus rentables nous auraient réservé, le tout avec suffisamment de talent pour emporter avec lui notre regard complice comme ici, on assisterait forcément à ce rendez-vous, comme si Wes Craven et Kevin Willlamson nous le donnaient eux-mêmes en somme. C'est sans doute là un joli signe que la succession est digne et accomplie. En plus d'un hommage en son sein, ce "Scream" s'achève d'ailleurs sur un touchant "Pour Wes", il aurait apprécié, encore plus qu'on aurait osé l'imaginer.