Difficile de trouver une saga cinématographique au rythme aussi étrange que celle des « Scream ». Ce cinquième opus sort tout pile onze années après le quatrième (2011), qui lui-même sortait onze ans après le troisième (2000), lequel clôturait déjà deux autres films sortis, eux, avec un an d’intervalle (1996-1997). Cette chronologie, aux antipodes de la quasi-totalité des autres sagas horrifiques, n’est pas sans induire quelque chose dans la conscience de ce cinquième du nom, de plus qu’il débarque après le décès de Wes Craven (1939-2015), réalisateur de tous ses précédents. La dédicace assignant « Pour Wes », affichée en gros avant le générique de fin, semble d’ailleurs une remarquable conclusion à la franchise méta, cynique et multi-référencée, élaguant à l’outrance les codes du cinéma d’épouvante, et particulièrement ceux du slasher. C’est donc toujours le nom de l’instigateur qui apparait à la fin, non pas comme une accréditation, mais comme un hommage plus innocent. Car ce dernier « Scream », il a beau présenter quelques défauts flagrants de mise en scène (le découpage est purement pensé pour le dynamisme), reproduire de vieilles recettes (on assiste comme à un remake sous forme de miroir du premier opus, ce qu’orchestrait déjà magnifiquement « Scre4m »), peiner quelque peu à renouveler le casting (certains des nouveaux personnages ne trouvent quasiment pas de présence), reste qu’il demeure ce qu’est profondément l’essence « Scream » : un pur plaisir d’effroi, un ersatz du slasher, genre démodé et pourtant toujours resté à la mode ! Mais comment reprendre de vieux schémas tout en prenant de nouveaux ? Sur cette question, la concomitance de la sortie de « Scream » n’est pas sans aller avec celle de « Matrix : Ressurections », tout juste un mois plus tôt, autre opus-ersatz over-méta, qui lui-même sortait une semaine après « Spider Man : No Way Home », lequel utilisait abondement les rebonds méta du multi-vers. Mais que se passe-t-il à Hollywood avec les méta-trucs ?! Le rapport nostalgique aux films du passé, et donc notamment à ceux des années 1990-2000, est devenu comme un enjeu de récit pour ces suites, une forme d’idéal cinématographique alliant rapport conscient à l’héritage et fan-service. Mais là où « No Way Home » affiche derrière cette attention un regard corporatiste, et là où « Matrix : Ressurections » la couvrait d’un point de vue nettement plus sceptique et triste, « Scream » l’utilise pour simplement regarder vers le passé, d’un œil non pas seulement franc (ce qui n’est pas sans être étonnant pour des films de masques), mais également et surtout amusé. Lorsque Sidney Prescott apparait pour la première fois, nous en sommes déjà à plus vingt minutes de film : nous la voyons courir en poussant une charge (une poussette ? si c’est le cas, ses enfants ne sont même pas montrés !), lorsqu’elle reçoit le coup de téléphone lui annonçant le retour de Ghostface. Elle s’arrête d’un pas décisif, la caméra la suit en travelling, puis elle décroche en même temps qu’elle se retoue, immobilisant l’image sur un gros plan. Soudainement, elle revient donc au spectateur, elle s’adresse au passé.
D’ailleurs, notons ce titre : nous ne parlons pas là de « Scream 5 », mais de « Scream », comme le tailladant film de 1996. Il est pourtant dis dans « Scre4m », « on ne déconne pas avec l’original ! ». Le duo de réalisateurs Tyler Gillet et Matt Bettinelli-Olpin, ainsi que le producteur Kevin Williamson, semblent avoir pris cette citation en ironie, puisque leur « Scream » est un quasi-remake du premier, déconnant ouvertement avec ses ressorts. À titre de suites-ersatz, on pense à « Rec 4 : Apocalypse » (2014), et à ce moment où Ángela Vidal laisse un autre personnage regarder les rush pris par la caméra du premier film, lui proposant donc de regarder le premier « Rec » (2007), là, sous nos yeux. Cette vibration du cinéma d’épouvante récent, celle d’une récupération pour mener à l’expansion, n’est pas sans aller avec une certaine tristesse certes, comme l’aveu acté de l’incapacité d’un renouvellement. Mais dans le cas de « Scream », cette même tristesse — qui le rend d’ailleurs un peu plus « Stab » que « Scream » — n’est pas sans s’arrimer, justement, à cette innocence : celle du plaisir du cinéma, ou d’un naturalisme grand-guignol, d’une tentative créer un lien fort entre deux générations de cinéma. Jeu de masques, mais aussi de miroirs (dans lesquels apparait le tueur du premier film), ce cinquième opus, bien que n’est pas Craven qui veut, parvient via son efficace escalade méta à rendre un modeste hommage à l’image d’un parrain de l’horreur moderne, tout en nous faisant comprendre qu’il serait quelque peu sadique de lui en demander plus. Et comme après la sortie de chaque « Scream », prions, en spectateurs avides que nous sommes, qu’il n’y ait pas de suite.