Il y a quelque chose à la fois d'effrayant et de fascinant dans la violence qui imprègne les classes ouvrière ou moyenne britanniques, du "Saturday Night's alright for Fighting" d'Elton John au hooliganisme des années 70-80. "Broken" s'ajoute à la liste des nombreux films qui ont exploré cette veine ("Red Road", "This is England"...) en l'abordant sous l'angle de la perte de l'innocence d'une très jeune collégienne diabétique, Skunk (Eloise Laurence, révélation du film, forcément), témoin un jour d'une agression. Cet acte violent et ses suites vont lui ouvrir les yeux sur la vie et sur le monde qui l'entoure. Ce qu'elle va découvrir n'est pas des plus reluisants : un univers des adultes brutal (le voisin veuf), vénal (la fille au pair), démuni (les parents du schizo) et finalement déceptif (le père, modèle idéalisé du sexe opposé, qui cache sa relation avec la dite fille au pair). Pas mieux du côté des ados où la violence le dispute à la méchanceté et à la perversité. Se situant quelque part entre "Tyrannosaur" et "Lovely Bones" en reprenant malheureusement les moins bons côtés de ces deux films (le côté trop démonstratif et le côté trop mièvre), très bien joué et très (trop ?) émouvant, "Broken" souffre d'une réalisation ampoulée et calibrée "indé" (pas mal pour la BO, par contre) et surtout d'un scénario délivrant une morale un brin réac. Pas très progressistes en effet, ces portraits de pères célibataires : le père de Skunk (le toujours excellent Tim Roth) a besoin d'une aide extérieure qui finira par partager sa couche et le voisin violent, Oswald (Rory Kinnear), est plus un chien de garde qu'un père de famille, pas vraiment aidé par ses pestes de filles. Parce qu'elles sont gratinées, les filles Oswald ! A côté d'elles, les filles Thénardier ressemblent à des carmélites ! Et là encore, le réalisateur Rufus Norris force bien le trait en nous pondant un travelling arrière sur les trois sœurs assises sur un canapé qui rappelle méchamment la scène d'ouverture d'"Orange Mécanique" avec Alex et ses droogs au Korova Milk Bar. Puis le récit nous offre en apothéose sentencieuse et quasi biblique, un invraisemblable enchaînement de malheurs déclenché par une dénonciation calomnieuse qui finira par se retourner contre son ignoble auteure qui en paiera le prix fort. Du style : "Vous avez vu, hein, tout ce qui arrive quand on ne se conduit pas bien ? Et tout ça, ma pauvre dame, c'est la faute de la clope, du sexe, du binge drinking (je ne sais pas comment le scénariste a fait pour nous épargner la drogue...) et de la fin du modèle familial traditionnel !". Bon d'accord, c'est vraiment pas bien de mentir mais le montrer à ce point là... Ah, j'allais oublier : à la marge, le film traite aussi de la maladie mentale et de la prise en charge des pathologies. Sans aucun recul, avec les mêmes gros sabots. Des gros sabots qui font de "Broken" un film lassant voire irritant à force d'être poignant. Un film qui peut quand même se laisser regarder pour ses acteurs. Seulement pour eux.