Tout d'abord, je préfère cette fois-ci préciser d'emblée que cet avis contiendra de légers spoilers, pour éviter toute contrainte qui ne m'oblige à trop détourner mon écriture. Ceci étant annoncé, je m'étais dit qu'avant de passer à Only Lovers Left Alive, je découvrirais Jim Jarmusch. Hélas, j'ai failli à ma parole et l'avis que vous allez lire, si le cœur vous en dit, n'est à ce titre sans doute pas le plus opportun que vous pourrez trouver. Nul doute que cette relecture du mythe des vampires est un film éminemment personnel, mais qu'importe, je vais tout de même me permettre de juger, dans l'absolu, de sa teneur et de ses qualités véritables. Heureusement, Jarmusch ne dissimule pas bien longtemps le leitmotiv qui sous-tend cette histoire d'amour millénaire sur fond d'un Monde déliquescent (Detroit et l'Amérique - forcément regardés comme le mètre-étalon de la santé mondiale - se délabrent, les contaminations humaines se multiplient). Le réalisateur lie clairement la nature de ces vampires, éternels, omniscients et dandys, à notre héritage artistique. Face à lui, un Monde d'humains indignes, de "zombies" - dixit le film himself, qui ne sait plus que profaner la beauté, ignorer l'imagination. Quoi de plus significatif d'ailleurs que de voir le vampire joué par John Hurt dépérir tout au long d'Only Lovers Left Alive. Les vampires, créatures censément immortelles et qui se nourrissent de nous, pourraient-ils mourir si nous ne nous éteignons nous-mêmes, d'une certaine manière ? C'est ainsi que le film s'est communiqué à moi, selon un paradigme qui voudrait qu'en quelque sorte, la marche actuelle de l'humanité ne conduise à terme inexorablement à l'anéantissement de ce dont elle est précisément la gardienne, une sorte de beauté créatrice, de liberté de l'âme. Comme si la culture et le raffinement intellectuel se perdaient, aujourd'hui réservés à une vieille élite agressée par notre vulgarité à nous, pauvres mortels. Très significatif, à cet égard, que le couple dandy qui opposait à sa condition de buveurs de sang une civilité très humaine, finisse contraint et forcé par retrouver son animalité, et par tuer à nouveau. Sur le coup, c'est peu de dire que je n'ai que moyennement apprécié cette condamnation aigrie et plutôt prétentieuse. Plus le film se décante pourtant, plus j'arrive à y lire une mélancolie plus douce, plus chaleureuse. Si ce sentiment est celui d'un déphasage vis à vis du Monde, je crois qu'il faut y ajouter un élément essentiel, que Jarmusch n'a pas totalement oublié ; le désir désespéré de finir par y trouver une place. Malheureusement, je trouve que ce spleen ne s'écoule qu'à flots irréguliers de l'image, que lui dispute également une tendance à la pose qui parfois ravive trop vite l'antipathie provoquée par le film. Comment, par exemple, ne pas voir une posture dans ces séquences étonnantes où Jarmusch essaie de détacher du temps ses deux personnages en filmant le plus banal de leurs déplacements au ralenti, là où par exemple tant de films n'usent de ce procédé qu'avant leur climax, pour signifier l'importance du moment. Engoncé dans ses certitudes, je crois que le film doute trop peu pour attirer mon empathie, d'autant que Jarmusch oublie de cultiver son aura par son récit, trop clair, laissant cette charge reposer sur sa mise en scène, très belle mais insuffisante. Dommage, au vu du travail de Tom Hiddlestone et de Tilda Swinton. Malgré des qualités certaines, une petite déception.