Quand le réalisateur-scénariste-musicien-acteur Jim Jarmusch s’essaye au vampirisme, il nous présente des êtres épurés de malveillance, dont l’éternité, assurée tant que leur faim est sustentée, se veut à la fois leur bénédiction et leur malédiction, et probablement le seul facteur causal de leur perte d’humanité.
Philosophe, voyageuse et psychologue compatissante, elle rejoint son amour de toujours, mélomane, musicien, romantique et suicidaire, pour écrire un nouvel épisode de leur chemin sans fin. Sous fond d’excellente musique psychédélico-érotique et d’un esthétisme sensuel et étrangement sombre, leurs obscures pérégrinations dévoilent leurs trésors et leur génie, puisque bénéficiant d’une expérience incomparable en sciences, histoire, arts ou sagesse, et dotés de surcroit de sagacité, sensibilité et perceptions hors-norme. Fruits d’une passivité froide et éternelle, ils naviguent discrètement au milieu des hommes, mus d’une humble civilité et de la plus grande délicatesse possible envers nous autres, surnommées les « zombies », membres décadents de leur incontournable garde-manger. Leurs souvenirs révèlent l’imposture de bien des génies humains qui ne furent que les nègres de ces êtres enfermés depuis toujours dans un nécessaire anonymat, tandis que sont dénoncés l’actuelle déchéance des esprits et des corps, la pollution du monde et la contamination du sang humain dont ils sont bien sûr les premières victimes.
Loin du genre horreur ou aventures, ce film singulier et touchant dresse un portrait philosophique de l’humanité vue au travers du regard d’un couple de vampires amoureux, témoins depuis des siècles ou des millénaires de notre condition déclinante actuelle et de nos impostures, auxquelles leur vitalité demeure néanmoins subordonnée.