Jim Jarmusch est un homme qui a, aux travers de ses films, démontré qu’il possédait une âme solitaire et assez nostalgique. Ce n’est donc pas surprenant si son nouveau film, "Only Lovers Left Alive", continue d’illustrer ces deux thèmes récurrents ; mais cette fois-ci, il prône la carte de l’originalité en choisissant de nous proposer une histoire de vampires : Adam et Eve sont amants depuis des siècles mais vivent souvent séparés par des milliers de kilomètres. Alors que Adam semble être de plus en plus déprimé par le monde et les humains en général, Eve décide de le rejoindre pour lui rendre le sourire…Ce qui fait la vraie saveur de "Only Lovers Left Alive", c’est qu’il se sert de sa trame fantastique pour exposer un dilemme humain : ici, il ne sera donc pas question d’histoire de vampires classiques avec un côté horrifique et chasse à l’humain ; non juste deux êtres immortels qui essayent (ou n’arrivent pas) de s’adapter au monde d’aujourd’hui. D’un côté nous avons Adam, sorte de rockeur romantique et suicidaire (gothique donc !) qui a perdu le goût de sortir la nuit et préfère rester chez lui entouré de reliques digne d’un magasin d’antiquaire (anciennes guitares, vielles consoles d’enregistrement de son, vieux téléphone sans fil pesant 10 kg, télévision des années 80, son mur recouverts de photos de grands hommes qu’il a jadis côtoyés) tant le monde extérieur lui fait peur (bin ouais : un vampire dépressif chronique !). Et, de plus, il habite Détroit, ville qui n’est plus que l’ombre de ce qu’elle fut autrefois. De l’autre côté, nous avons Eve, femme dynamique vivant avec son temps (cheveux peroxydés, téléphone portable 4G dernier cri), très sociable (elle adore sortir la nuit et fréquente d’autres congénères aux canines pointues) et assez tournée vers l’avenir (elle vit à Tanger, ville marocaine qui s’est ouvert il y a quelques années au tourisme et dont l’activité nocturne est assez importante). Deux êtres diamétralement opposés mais totalement complémentaires, comme les deux faces du Yin-Yang. Une phrase du film illustre bien cette complémentarité lorsque Adam dit « J’ai l’impression que le sable du sablier est en bas », Eve lui rétorque « Il faut le retourner alors ! », sachant bien qu’aller retrouver son amant, c’est le sortir de sa poussiéreuse déprime. Une fois ensemble, Adam semble retrouver goût à la vie et Eve est juste heureuse d’être auprès de son amour millénaire : à deux, ils semblent plus forts pour continuer de vivre dans le monde moderne (ça y est : vous avez capté le titre du film ?! ^^). C’est à ce moment que choisi Jarmusch pour mettre à l’épreuve ses héros vis-à-vis de leur approche du monde qui les entoure en faisant arriver Ava, la jeune sœur d’Eve qui elle s’est carrément calquée sur les comportements humains contemporains où juste l’éclate du moment compte. Très bonne idée qui, en plus de donner un petit coup de dynamisme au récit, permet d’amener la dernière partie du film. De bonnes idées, le film en contient d’autres comme le fait que nos amis vampires soient des sortes de « muses » ayant inspiré les plus grands artistes de notre monde (à ce titre, le personnage de Marlowe est excellent) ou comme ce surprenant développement autour du sang : nos héros préfèrent s’approvisionner en sang dans des lieux cliniques pour obtenir un produit «pur» non contaminé par les vices de l’être humain (alcool, drogue, MST). D’ailleurs, les dégustations du précieux liquide rouge ressemblent étrangement à un shoot intra-veineux de junkie où nos amis vampires partent dans une sorte de mini-transe. En outre, pour la première fois, on évoque la possibilité de mourir en buvant du sang pour un vampire à cause justement de la non-pureté du sang : original. Comme quoi on peut moderniser la mythologie tout en la respectant (et non pas la fourvoyer tout en lui crachant à la gueule comme l’a fait la saga "Twilight" ou les séries « Vampire Diaries » et « True Blood »).
Laissez-vous donc envoûter par ce road trip poétique d’un couple atypique où réflexion se mêle avec fantasmagorie. Brillamment interprété par le duo principal (touchant Tom Hiddleston et magnifique Tilda Swinton) ainsi que par les seconds rôles (charismatique John Hurt, espiègle Mia Wasikowska et méconnaissable Anton Yelchin !). Après onze films, Jarmursch continue encore de nous surprendre et de nous séduire pour notre plus grand plaisir…à quand le prochain ?