Le jour et la nuit; entre l'aboutissement de ce nouveau Jarmusch et les dernières aventures de vampires portées au cinéma. Le jour et la nuit tout au long de cette histoire qui s'amuse habilement à marier les contraires.
Cette romance donne d'abord le tournis et met astucieusement en place la distance de la relation. C'est déjà très beau et envoûtant. La ballade nocturne de Tilda Swinton dans le souk de Tanger glace le sang. La musique et le ralenti, très juste, appuient parfaitement le charisme de l'actrice. Les présentations sont bien faites et mettent d'entrée en évidence l'opposition des caractères du couple. La prestance d'Eve face à la fragilité d'Adam. La première distinction concrète et amusante, leur moyen de communication. Elle appelle avec un smartphone on ne peut plus en vogue, lui répond sur une antiquité.
Mise en abîme brillante qui souligne la personnalité des protagonistes. Eve vie avec son temps, Adam survie avec la mélancolie de son époque. L'idée ne s'arrête pas là. Les amoureux veulent se voir. Pas de mal pour la vampire moderne, mais pour le casanier bricoleur non plus. Il enclenche un système sorti de l'univers Gondry pour projeter la communication sur sa vieille TV, et ça marche. Le son sort de partout et la tête de Tilda Swinton est bien dans la boite. L'iPhone donne certes une image bien plus belle et bien plus nette mais devient ridiculement petit. Ce petit rien donne d'entrée un trait de génie et de fun.
Une fois familiarisé avec ces vampires séparés et leur mode de fonctionnement, les amants épris décident de se retrouver. Eve quitte Tanger (tension fabuleuse dans l'avion) pour rejoindre sa moitie à Detroit. Le simple choix de ces villes est encore très subtil. L'architecture marocaine enlève toute temporalité au contraire de la capitale du Michigan tristement bouleversée aujourd'hui. Paradoxalement c'est notre nostalgique qui est installé dans cette ville en faillite symbole de la crise actuelle et sa moderne compagne qui était réfugiée dans les battisses antiques du Maghreb. Il en découle néanmoins une logique implacable du mouvement venant de la plus vivante des deux êtres. Et quelle ville mieux que Detroit pouvait accueillir la passion musicale d'Adam ? Berceau de la musique avec le Label de la Motown et symbole du monde actuel, l'intrigue de Only Lovers est parfaitement à sa place dans cette ville fantôme qu'est devenue Detroit.
Les virées de nuit en voiture montrent très bien le vide impressionnant qui ressort de cette grande cité américaine. Des jeunes qui errent dans les rues sombrent et au loin encore quelques enseignes illuminées. Une ville tenue par sa survie musicale. Fabuleuse scène sur la salle de spectacle devenue parking.
Le jour et la nuit entre vampires et zombies. Cet énième conflit proposé dans Only Lovers Left Alive n'est pas franchement le cœur du propos. On ne sait même pas bien de quoi il s'agit quand ils parlent de zombies. Il semblerait tout de même que ces derniers ne soient simplement que les humains. Intéressante donc l'idée que les vampires voient ces êtres comme des morts-vivants. Quelques clins d’œil amusants sur d'autres mythologies (pleine lune) ou des références culturelles historiques (Hamlet) sont faits avec légèreté. C'est d'ailleurs ce qui caractérise la façon dont Jarmusch s'empare du mythe, il prend les codes (pieu de bois, sang, lumière...) sans les imposer à lui même ou au spectateur. Il fait des choix cohérents dans l'intégration qu'il en fait à sa légende.
Enfin, le jour et la nuit entre le générations. Le conflit entre les époques que traversent notre couple. Adam et Eve ne s'adaptent pas de la même façon à leur temps. Mais leur fonctionnement à clairement évolué au fil des décennies tout de même. "On est au XXIème siècle". Cette petite phrase d'Eve dite à sa petite sœur après que celle-ci est "bue" un homme, le marque très bien. Leur méthode pour ce "nourrir" aussi. Adam semble tout de même resté quelques années en arrière, probablement pas si loin d'ailleurs. Moins d'un siècle pour sûr. Une autre réplique donnée par Tilda Swinton montre à quel point elle a plus la mesure de son époque. A Tom Hiddelston, dont le personnage demande quoi faire du cadavre, elle répond; "on ne peut plus le jeter dans la tamise, comme à l'époque, au milieu des lépreux". Cela situe encore très bien temporellement. La solution qu'ils trouvent ira complètement dans le sens de ce qu'est devenu le monde au XXIème siècle. Et puis il y a le conflit de générations à travers les âges. Le débarquement d'Ava avec sa fougue et sa "jeunesse" va créer un relation triangulaire fabuleuse. Tout de suite une évidence fraternelle ressort des échanges entre Mia Wasikowska et Tilda Swinton, Tom Hiddelston est excellent en beau-frère désabusé. La jeune actrice vue en 2010 chez Burton dans le rôle d'Alice a le sang chaud. Sa soif de vie (et de sang) relance le fun dans ce couple moribond. Cela agace Adam et amuse sa grande sœur, ainsi que nous même. Une fois qu'Ava leur propose de sortir faire un tour, ça prend un tournant brillant. La scène au bar est fascinante. Rapidement on devine le destin funeste du 4eme invité. Le choix scénaristique qui en est fait par la suite est très bien assumé. L’interrogation sur que faire du corps et le retour à Tanger finisse très bien le récit.
Magnifique course face à la survie. Parcours dans une cité aux allures de jungle. Le rythme est ralenti, normal nos protagonistes n'ont plus d'énergie. Et leurs parcours nous laisse sur une dernière scène vraiment pleine de mordant.
Avec des accents arabes dans les passages à Tanger, ou de Rock rétro dans la discographie d'Adam, la musique est très présente. Elle apporte beaucoup de dimension à cette fable contemporaine. Conjuguée à la photographie très inspirée, particulièrement dans les paysages marocains, et à un montage très soigné, le récit original est merveilleusement porté à l'écran.
L'entretien de vampires pour vivre ou survivre avec leur époque. En s'accordant plus ou moins avec le rythme de leur époque, Adam et Eve font traverser leur romance à travers les âges.