Un film de vampires. Encore ?
Pas vraiment, puisque Jim Jarmusch prend un éternel plaisir à ne rien faire comme tout le monde. Loin, très loin des grands éclats baroques de Coppola ou du plongeon branchouille de True Blood, Jarmsuch pense que les vampires vivent dans l'air du temps. Des créatures éternelles qui adoptent le ton et l'atmosphère de leur époque. Des créatures à son image, incomprises, solitaires, parfois tristes, souvent captivées par la beauté du monde...
Pas de fontaine d'hémoglobine donc, mais un rationnement prudent de sang, que l'on va chercher en douce comme n'importe quelle marchandise de contrebande. Et puis la déprime, toujours la déprime...celle de ne pas se sentir bien dans son siècle, celle de se rappeler des jours meilleurs, celle de moquer une humanité ("les zombies") incapable de se prendre en main.
Prendre les vampires comme métaphore nostalgique d'un monde à la dérive, le pari était osé, et fonctionne bien. Avec des petites touches d'humour, ces bobos remontent plusieurs siècles et réécrivent tranquillement l'historie des arts, de Schubert à Shakespeare. Mais surtout, ils se rappellent de leur amour.
Car ils s'aiment ces deux là. Tendrement, naturellement, de manière bienveillante, comme si ils venaient de se rencontrer, même si ils habitent loin l'un de l'autre (encore une marque de "modernité") On éprouve une sympathie immédiate, une tendresse immense pour ces deux dandys presque dépressifs qui s'enferment chez eux et se cachent derrière de larges lunettes de soleil même dans le plus sombre des bars. Tout en musique (permanente), le film se glisse petit à petit dans deux décors presqu'incongrus : la ville de Detroit et celle de Tanger.
La première : vide, froide, désincarnée, exsangue. C'est celle d'Adam (Tom Hiddelston, très bien), qui a trouvé dans ce lieu totalement abandonné toute la solitude qu'il souhaite.
L'autre ville : chaude, colorée, mais toute aussi vide, comme dans une fin du monde. C'est celle d'Eve (Tilda Swwinton, magnifique), tout en tendresse, en amour, en attention.
Tout le film est en retenue.
Comme rendus apathiques par leur trop grande existence, comme happés par un monde qui ne tourne plus rond (sauf sur les 33 tours), les deux vampires ne semblent plus s'intéresser qu'à des objets anciens, à de la musique que l'on écoute seul. Délicieuse nostalgie, que vient briser une petite sœur délurée dont l'irruption viendra bousculer cette existence trop bien réglée. Et pourtant, le film continue doucement à cheminer... jusqu'à un épilogue magnifique et plein d'humour.
Un drôle de voyage, que Jarmsuch mène avec son habituelle lenteur, qui rebutera certainement du monde (quelques claquements de siège réguliers pendant la séance), qui n'a pas la densité et la puissance de certains de ses films passés. Mais qui exerce une belle fascination, et crée deux personnages magnifiquement actuels.
En fait, Only Lovers left Alive n'est peut être pas un film de vampires...