Délicieusement psychédélique, Only Lovers Left Alone se cale, dès l’introduction, sur la rotation quasi cosmique du vinyle « The Taste of Blood » ; il pivote, ensuite, autour de deux vérités : « how can you have lived for so long, and still not get it? » demande Eve (Tilda) à Adam (Tom) ; « condescendent snobs! » proteste Ava (Mia), jetée à la rue. La jeune fille n’apparaît que trop peu, mais par ces quelques termes démontre que, pris au premier degré, le nouveau film de Jim Jarmusch transpire la pédanterie de ceux qui croient savoir. Dates, noms binomiaux, échecs et portrait d’Edgar Allan Poe manifestent une fausse érudition ; ils sont à la culture ce que le mot est à l’idée. Ces deux vampires, vieux de plusieurs siècles, accumulent les objets et les connaissances avec bon goût, mais à l’instar de la façon dont Eve parcourt de vieux ouvrages, en effleurant leurs caractères latins ou chinois, ils survolent tout, comme la physique quantique. Adam n’aurait retenu plus de la science qu’un collégien pour son brevet, à lister Pythagore, Galilée, Copernic, Newton et Einstein ; il définit l’intrication comme un lycéen plagiant Wikipédia. La plupart des répliques passent alors pour de vulgaires réponses de Trivial Pursuit, sans profondeur ni pertinence, malgré les années et la rencontre des plus grands. Assez talentueux pour avoir composé du Schubert et écrit du Shakespeare, mais plus snobes encore pour garder l’anonymat, ces vampires ingrats prennent aux hommes de la meilleure guitare au meilleur sang, pour ne rien leur rendre : la musique d’Adam est « private ». Au premier degré, il faut donner raison aux Cahiers du cinéma : « De manière extrêmement antipathique, les vivants, pauvres ignorants de [la] culture hautaine [du réalisateur], sont traités de « zombies ». Ce mépris de classe ne recouvre en définitive qu’un maussade « c’était mieux avant ». » Au premier degré, Only Lovers Left Alive s’analyse en critique maladroite, car cliché, de la société contemporaine, celle d’un beau théâtre devenu parking. Mais la brève intervention d’Ava chasse cette interprétation ; elle commande de laisser à Jim Jarmusch le bénéfice du doute. Créatures pantouflardes et pleurnichardes, Eve et Adam sont de piètres gardiens d’un monde magnifique : « All those moments will be lost in time, like tears in rain. » Aussi y’a-t-il, dans cette appropriation d’un mythe overused et qui pose enfin la question du rapport au temps, une forme d’autodérision vraiment salutaire. Formellement hypnotique, des plans à la bande son, le film se permet même quelques scènes drôles, particulièrement celles à l’hôpital où Tom Hiddleston et Jeffrey Wright dealent du « O negativo ». Le couple formé avec Tilda Swinton, décharné et rock’n’roll, mène avec brio cette balade nocturne et lente à ne pas trop prendre au sérieux -pour l’apprécier.