Comme disait Coluche : « On est une bande de jeunes qui se fendent la g****** ». Tel est le résumé très raccourci, j’en conviens, du film d’Abdellatif Kechiche. A part ça, je comprends que le film divise. Moi-même suis partagé. « Mektoub my love : canto uno » fait partie de ces films où je ne peux pas dire j’ai aimé et où je ne peux pas dire je n’ai pas aimé. Une réponse de normand ! En tout cas, il a cette qualité : il ne m’a pas laissé indifférent. Pourtant, je suis resté en retrait. Un paradoxe ? Sans doute. Des films qui me laissent à distance faute d’émotion et dont je me contrefiche des protagonistes, il y en a pléthore. Mais là, j’avoue que c’est une performance du réalisateur de m’avoir capté tout en me laissant en retrait. La question est de savoir si le réalisateur m’a volontairement mis en retrait ou me suis-je volontairement mis en retrait ? Je pense que c’est moi. Je me suis interrogé plus d’une fois. A commencer par l’évidence : quand démarre vraiment l’histoire ? Tant qu’elle n’a pas démarré, je reste à l’écart. J’attends le moment d’être enfin aspiré, ne plus faire qu’un avec le film. Puis, une autre évidence s’est fait jour : si je restais là à les regarder. Voilà un moment que je les regarde tous ! C’est une place privilégiée quoi qu’on en dise. Ce n’est pas banal mais il est vrai que le film est loin d’être si banal malgré la banalité des propos et des situations que nous donne à voir Kechiche. Ophélie disait de Charlotte qu’elle veut trop rentrer dans la bande. Justement, je ne veux pas y entrer. Juste regarder. Légèrement en retrait. Et c’est vrai qu’en adoptant cette démarche, l’histoire, car il y en a une, légère soit-elle, voire insignifiante soit-elle, passe. Une tranche de vie de jeunes adultes et leur famille durant un été 1994 à Sète. C’est vrai, j’ai pris plaisir à les entendre déblatérer sur des sujets du quotidien sans importance, pris plaisir à voir Ophélie et Tony faire l’amour, à voir danser Céline, à les voir tous sourire, rire, s’embrasser, se baigner, se bronzer, pique-niquer. La vie quoi. Sans intérêt pour les uns, aimable pour les autres. Une ode à la vie, à la jeunesse, à la légèreté, à l’amour, à l’émotion, à l’authenticité, au miracle de la vie. Comme cette scène du vêlage : toute naissance est un miracle. Evidemment, on peut y trouver des bémols comme le fait d’étirer des séquences. On a l’impression de vivre des scènes en temps réels. Un cinéma qui prend le parti de prendre son temps. Un cinéma qui affirme sa position artistique. Autre miracle : le temps passe sans regarder sa montre. Toutefois, j’avoue avoir été distrait de temps en temps, penser à autre chose. C’est aussi ça la vie proposée par Kechiche, on ne peut pas toujours se sentir concerné. Quant au regard du réalisateur sur ses actrices, je ne le trouve en aucun cas déplacé. La caméra ne fait que suggérer le regard des hommes, ceux du film, évidemment. Des réalisatrices filment aussi ainsi et les femmes peuvent aussi avoir ce regard. Il faut cesser de toujours mal interpréter. Je pense que Kechiche aime ses actrices et depuis « La Vie d’Adèle » ses scènes d’amour ne sont en aucun cas vulgaires ; elle sont sincères, elles respirent l’authenticité. Son regard sur le sexe, le désir, le corps des femmes me paraît sain. Enfin, c’est sa principale qualité : sa direction d’acteurs. Indéniablement, il sait diriger ses acteurs et cela s’entend et se voit. De « L’esquive » à « Mektoub my love : canto uno ». Je salue les prestations pour leur naturel, leur spontanéité, leur incarnation : Ophélie Bau, Lou Luttiau, Alexia Chardard, Delinda Kechiche, Shaïn Boumedine entre autres. « Mektoub my love : canto uno » mérite attention.