Dès le commencement du film, deux citations mises en exergue (l’une extraite de l’Evangile selon St Jean, l’autre du Coran) mettent l’accent sur la lumière. Abdellatif Kechiche a réalisé une œuvre baignée de lumière, un film solaire et, fidèle à son style, composé de scènes qui s’étirent avec démesure (sans jamais cependant entraîner de lassitude). Pour corser le tout, on a affaire à un film presque dénué de ressorts dramatiques. Certes, il est bien question, pendant une partie de l’œuvre, d’une histoire d’amour déçu provoquant quelques larmes, mais l’essentiel est ailleurs. Kechiche a fait un film sur le bonheur de vivre, sur la beauté des corps, sur l’exaltation du vivant, ce qui donne lieu à quantité de scènes superbes, la plus belle de toutes étant, sans nul doute, celle qui s’attarde sur deux brebis mettant bas leur petit, tandis qu’Amin (Shaïn Boumedine) les prend en photos.
Qui est-il, cet Amin qui a quitté Paris, où il réside habituellement, pour venir passer l’été auprès des siens, à Sète ? On apprend rapidement qu’il écrit des scénarios et se passionne pour la photographie et que, donc, ses ambitions sont artistiques. On le devine heureux de retrouver sa famille et ses amis et, cependant, tout au long du film, on ressent sa différence. Sa mère le lui reproche lors d’une scène où elle le surprend en train de regarder, dans l’obscurité, un film russe du temps du muet, au lieu de profiter des joies de la plage et du soleil. Amin se résout à aller à la rencontre des autres, de son cousin Tony, dragueur incorrigible, de son amie Ophélie, voire même de Céline et Charlotte, deux estivantes croisées sur la plage. Mais, tandis que tout ce monde profite allègrement des joies de l’été, tandis que, sur la plage, on se livre sans compter à des jeux débordants de sensualité, tandis que l’on s’adonne volontiers à des marivaudages, Amin, lui, semble toujours rester un peu en retrait, comme un observateur ou comme quelqu’un qui n’a plus tout à fait sa place à cet endroit.
N'est-ce pas précisément le rôle dévolu à l’artiste ? Être avec tout en ne participant pas pleinement aux plaisirs d’autrui… On peut même supposer qu’il y a une part d’autobiographie dans le film, Amin étant, en quelque sorte, l’alter ego du réalisateur. Quoi qu’il en soit, avec son indéniable talent de metteur en scène, Abdellatif Kechiche a réussi un film superbe et lumineux (qui sera probablement suivi d’une deuxième partie puisque ce film-ci est désigné comme « canto uno »).