Quand le réalisateur-scénariste de "Sous le sable" et de "8 femmes" adapte librement la version théâtrale de Juan Mayorga pour le cinéma, nous avons droit à "Dans la maison", un pur thriller dramatique made in France.
Scénario : Claude, un enfant de 16 ans, s'immisce dans la vie familiale d'un copain de classe pour écrire une histoire. Germain, son professeur de français, lit ses rédactions et reprend goût à son métier. Mais jusqu'où ira ce jeu du chat et de la souris ? Mystère... .
Une fois le décor planté (sans aucun repères de temps et de lieu), canevas scénaristique bridé oblige, les personnages prennent le temps de graviter autour et dans l'unité, LA maison. Lieu unique en son genre, ce home sweet home se transforme en une réalité fictionnelle où tout devient vrai (écrit, imaginé). C'est à partir de ce moment là que le lecteur (Germain) en veut plus et que le thriller devient huis-clos pour notre plus grand plaisir.
Dans cette ambiance, assez anxiogène, le cinéaste pioche parmi ses références : Bergman pour l'utilisation narrative de l'avancement du récit (la voix-off retranscrit à merveille l'atmosphère filmé par Ozon), Hitchcock grâce à une caméra suggestive et affolante (comment des personnes se retrouvent embrigadées, confrontées à des situations qui semblent les dépasser ?) et Pasolini par le thème des désirs de l'adolescence (comment ne pas penser aux yeux bleus de Terence Stamp dans le sulfureux "Théorème" de part la stature du jeune mais néanmoins talentueux Ernst Umhauer ?).
Devant cette mise en scène atypique et corsée, François Ozon nous invite ainsi (et aussi !) au cinéma par le cinéma. Le personnage de Germain, joué par un Fabrice Luchini ("Jean-Philippe", "Alceste à bicyclette"...) formidable et décomplexé au possible, nous tend ses connaissances et ses jeux littéraires comme quelqu'un boirait un bon verre de vin. Sa femme, incarnée ici par Kristin Scott-Thomas (la "patiente" anglaise), et jouant toujours dans le bon ton, nous invite à visiter sa galerie d'art. De plus, ce couple aime le cinéma puisqu'ils vont voir du Woody Allen (!). En plus, la mère du copain de Claude, campée par une Emmanuelle Seigner (Madame Polanski : "Frantic", "La vénus à la fourrure" ; également papillon pour Julian Schnabel) naïve dans un rôle de composition à contre-emploi, nous fait part de ses tableaux dans sa maison. Véritable réquisitoire pour faire découvrir l'art par l'art, le metteur en scène de "Potiche" nous apprend à être actif tout en restant assis dans notre canapé ou fauteuil. Bingo !
Son amour pour le cinéma, François Ozon ne le réfute pas, et de cette pièce de théâtre originale nous envoûte dans une mise en scène soignée, millimétrée et bétonnée pour mieux nous l'expliquer au travers du jeu d'acteur du très talentueux Ernst Umhauer (déjà vu dans "Le moine" aux côtés de Vincent Cassel) qui crève littéralement l'écran. Sa présence est tellement glorifique qu'elle en prend toute sa mesure au fur et à mesure que le métrage avance. Bravo Monsieur le réalisateur !
Le casting exploité par François Ozon est tout simplement magique puisqu'il s'accorde admirablement bien avec sa mise en scène, son montage et son histoire, en atteste le formidable duo Luchini/Umhauer, étonnamment excellent. Avec aussi Denis Ménochet ("Inglorious bastards", "La rafle" de Rose Bosch) et Jean-François Balmer (l'habitué de Chabrol, dont "Madame Bovary", reçut le César du meilleur second rôle pour "La menace" de Corneau) qui apportent un plus irréfutable.
Pour terminer, "Dans la maison" est le cinéma d'Ozon. Brut, sans concession, il rentre direct dans son sujet, nous balance un Luchini hors du temps qui nous fait sa leçon de français sans aucun scrupule. "Dans la maison" : on part de loin pour arriver près. Et même dedans. La magnificence du metteur en scène, c'est de nous transbahuter d'un endroit à l'autre, de la réalité à la fiction, du parc à la maison, de l'esprit de Luchini aux explications de Claude (l'ado). Du mal-être au bonheur. De la littérature à la peinture.
Ici, le réalisateur n'est pas seulement une personne qui réalise son travail, mais bien un metteur en scène qui mélange les genres (drame, comédie, thriller) pour mieux nous dérouter, et même nous rendre acteur de nous-même : Ozon nous titille les neurones qui se mettent instantanément en action. Tous mes chapeaux !!, Monsieur le cinéaste.
Spectateurs, rideau !
Accord parental souhaitable.