Dans le genre "métafiction littéraire", François Ozon avait déjà oeuvré, il y a quelques années, en réalisant Swimming Pool. Il y revient avec ce film, plus complexe et troublant.
Dans la maison propose principalement deux portraits, celui de Claude, un adolescent pas comme les autres, et celui de M. Germain, un prof de français un peu aigri. Ce dernier va devenir le mentor de son élève, apprenti écrivain, sur lequel il "transfère" ses fantasmes d'écriture, lui l'écrivain raté, et un possible désir de relation filiale, lui qui n'a pas d'enfant. Chaque jour, Claude remet à son professeur une rédaction qu'ils corrigent ensemble. Un texte où l'ado raconte le quotidien d'une famille "normale", observée avec un mélange d'envie et d'ironie vaguement méprisante. Un texte où il raconte aussi la façon, manipulatrice et malsaine, avec laquelle il s'immisce dans cette famille.
François Ozon développe alors son scénario sur deux niveaux, tout en interactions. D'un côté, la réalité, l'histoire vécue ; de l'autre, la fiction, la création littéraire. La première dimension est une sorte de variation moderne sur le thème de Théorème, de Pasolini (d'ailleurs cité dans le film). Où l'on suit l'action d'un "ange" pervers et destructeur, qui exploite ici les frustrations des autres personnages principaux (un copain de classe sans ami, une mère qui s'ennuie au foyer, un professeur qui n'a jamais réussi à écrire comme les écrivains qu'il admire...) pour essayer de combler les siennes (notamment un Oedipe sur le tard). Le jeune acteur Ernst Umhauer, par son physique et son attitude, rappelle un autre acteur, Stanislas Merhar, qui tenait un rôle également ambigu dans Nettoyage à sec, d'Anne Fontaine.
La seconde dimension, la métafiction littéraire, fait vraiment le sel du film. En écrivant quotidiennement un récit bien tourné, conclu par un mystérieux "À suivre", Claude surprend son professeur (et par ricochet son épouse qui lit aussi ses copies), attise la curiosité, jusqu'à une forme d'addiction. C'est l'écrivain qui accroche ses lecteurs et les maintient sous sa coupe, en les fidélisant de manière feuilletonesque. En narrant ce qui se passe dans l'intimité d'une maison et en se prenant comme protagoniste central, Claude cultive par ailleurs le voyeurisme de ses lecteurs, qui est, d'une certaine façon, celui de tout lecteur... et de tout spectateur. Enfin, en manipulant les membres de la famille observée, ainsi que son professeur et sa femme, Claude se trouve dans la position de l'écrivain qui manipule ses personnages et ses lecteurs. Tout comme François Ozon manipule les personnages de son scénario, mais aussi ses acteurs et nous, ses spectateurs. Tout s'emboîte et fait sens, avec pour moteur principal, à tous les niveaux, en littérature comme en cinéma, le plaisir de raconter une histoire et celui d'en décortiquer le savoir-faire.
Très bien écrit, intelligent, drôle et joliment tordu, Dans la maison est certainement le meilleur film d'Ozon depuis Sous le sable. Il faut également souligner la qualité de l'interprétation (Fabrice Luchini en tête, idéal dans son rôle d'amoureux des belles-lettres, mais dépassé par sa passion), du montage (avec ses ellipses et ses petits flash-back) et de la musique qui accompagne le rythme soutenu de la narration. On pouvait peut-être s'attendre à une fin plus marquante, mais celle-ci est tout à fait cohérente. Aboutissement d'un récit captivant, au genre hybride, qui oscille habilement entre comédie, drame, thriller à la Hitchcock ou à la De Palma, et même film noir, avec sa mécanique bien huilée, fatale et finalement amère.