Il y a deux types d'œuvres dans la filmographie de Gus Van Sant : les plus intéressantes, celles qui portent réellement la marque de leur auteur, que ce soit la démarche de la contrainte absolue (le remake plan par plan de "Psychose"), ou le travail sur le décrochement de la perception du réel ("Elephant", "Gerry", "Last Days", "Paranoïd Park") ; et puis il y a les films plus classiques, destinés à rencontrer le grand public comme "Will Hunting", "À la rencontre de Forrester" ou " Harvey Milk". "Promised Land" fait incontestablement partie de la deuxième catégorie, à tel point que si on faisait un blind test, à savoir de présenter le film à des cinéphiles en leur demandant de deviner le nom du réalisateur, peu nombreux seraient sans doute ceux qui citeraient Gus Van Sant.
À part un plan large du village balayé par le passage en accéléré de l'ombre des nuages, il n'y a pas grand chose de "Van Santien" dans ce film de facture ultra classique. Déjà, il s'agit d'un duel entre deux hommes, Steve et Dustin (incarnés par Matt Damon et John Krasinski qui cosignent le scénario), et beaucoup de scènes se résument à des dialogues filmés en champ-contrechamp, que ce soit entre les deux protagonistes, entre Steve et sa collègue Sue, ou entre Steve et Alice, la jeune femme qui devient le second enjeu de l'affrontement entre les deux hommes. De plus, Gus Van Sant n'hésite pas à avoir recours aux bons vieux trucs : usage du ralenti, musique très peu burtonienne de Dany Elfman pour ponctuer les passages les plus émouvants du discours de Steve devant l'assemblée du village, gros plans sur les visages saisis par l'émotion...
Malgré celà, "Promised Land" reste un film intéressant par ce qu'il nous raconte, et finalement très efficace grâce à cette facture à l'ancienne. Comme le lui dit Frank Yates, le vieux professeur opposant au projet (joué par Hal Holbrook, 88 ans), Steve est un homme bien. Ce type qui descend du bus avec sa valise à roulettes est certain de la justesse de son attitude, et le fait qu'il provienne de Elridge, Iowa, lui donne une supériorité par rapport aux autres démarcheurs de sa boîte : il connaît tous les codes de cette Amérique de Norman Rockwell, celle où l'épicier affiche "Guns - Groceries - Guitars - Gas". Il semble croire en la valeur de ce qu'il raconte, tout comme sa collègue Sue, jouée par la toujours formidable Frances McDormand sait toucher la corde sensible de ses interlocuteurs en faisant miroiter le plus que leur apporterait l'argent du gaz pour l'éducation de leurs enfants. On comprend a contrario combien il croit à son propre discours sur la valeur émancipatrice de l'argent quand on lit sur son visage la désapprobation et la stupeur en voyant un fermier arriver avec la Corvette flambant neuve qu'il vient d'acheter avec l'intégralité de sa prime.
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