Le cinéma US est toujours prompt à se tourner vers son histoire récente. Par opportunisme médiatique et commercial, parfois sans le recul nécessaire, parfois aussi avec une certaine audace, louable, celle de se confronter immédiatement à des thèmes délicats. Certains producteurs, scénaristes et réalisateurs auraient pu s’emparer du sujet de la traque de Ben Laden pour accoucher d’un film plein d’autoglorification patriotique. Ce n’est pas le cas avec Zero Dark Thirty. Et c’est sa première qualité. Tout en cultivant les agréments du thriller d’espionnage et d’action, le film refuse toute surdramatisation, évite les effets faciles et se garde de toute dérive « subjective ». Écrit et produit par Mark Boal (comme Démineurs, le précédent opus de Kathryn Bigelow), Zero Dark Thirty se déploie sous la forme d’une enquête qui se caractérise par une certaine sécheresse factuelle, fruit d’une investigation journalistique semble-t-il sérieuse et consciente de ses limites. Pas de révélation choc, pas d’avancée hasardeuse sur le terrain géopolitique, mais un récit qui restitue bien la complexité de la traque, en n’omettant pas les sujets qui fâchent, notamment celui de la torture, abordé frontalement lors de scènes explicites, traité discrètement sur un plan politique, en évoquant un changement de méthodes à la suite du changement de gouvernance des États-Unis. Sobre, crédible, assez subtil et captivant, Zero Dark Thirty convainc dans cette dimension de thriller d’enquête, conclu par une séquence d’assaut remarquablement mise en scène, sans esbroufe mais très intense. Le film ne se réduit cependant pas à cette dimension. Un supplément d’âme se loge dans le portrait de Maya, agente de la CIA, recrutée et formée dès sa sortie du lycée, qui a ensuite consacré plus de dix ans à la chasse de Ben Laden. Pas d’autre sens à sa vie. Une quête obsessionnelle dont la résolution représente à la fois un immense succès, la fin d’une tension permanente, mais aussi une ouverture sur le vide, le vide de l’avenir, le vide d’une vie personnelle à (re)construire… « Où va-t-on ? », demande un pilote à Maya, une fois la mission accomplie. Pas de réponse. Les dernières images du film, d’une profonde tristesse, à mille lieues de ce que l’on pouvait attendre de cette histoire « glorieuse », sont très fortes. Dommage que le focus sur ce personnage ne soit pas plus important. On aurait pu tailler un peu dans l’enquête pour l’étoffer. Quoi qu’il en soit, Jessica Chastain lui confère une présence singulière, à la fois fragile et farouchement déterminée, jusqu’à la névrose. Sans jamais trop en faire, elle s’impose à la tête d’un bon casting international.