Le public avait laissé Tony Kaye sur le brillant American History X, à la paternité controversée (réalisateur « éjecté » en plein montage, supervisé ensuite par Edward Norton). En somme chef d’œuvre du cinéma des années 90 mais projet abouti dans la souffrance pour Kaye. Après 3 long-métrages passés inaperçus et un documentaire sulfureux, Lake of Fire, Tony Kaye revient au-devant de la « toile » avec Detachment, film dramatique, s’il en est. On retrouve alors l’effervescence visuelle de Kaye qui avait contribué au succès d’American HIstory X.
Tony Kaye est un personnage à lui seul, si bien que l’on s’étonne (et se réjouie) de son retour au cinéma, artiste touche-à-tout, photographe talentueux, Kaye a toujours voulu être totalement en marge du système Hollywoodien.
Par le sujet même du film, l’échec du système scolaire aux Etats-Unis, il confirme l’approche documentaire que le cinéaste porte en lui. Detachment, par certaines envolées de style, mêle touches artistiques et réalisme de mise en scène. Œuvre sombre, noire obscure voir nihiliste sous de légères nuances d’espoir. Le réalisateur ne se contente pas de dessiner une Amérique, il l’ausculte, l’ouvre de l’intérieur et la pousse à son paroxysme. Seule la lumière (photo) blanche du film porte ce dernier vers des tonalités apaisantes, le reste n’est que négation et constat flagrant que la société laisse les plus faibles sur le bord de la route, désarmés, démunis, détruits, à peine « éclos ».
C’est dur, extrême mais à le mérite de ne pas laisser indifférent.
Ce qu’on peut reprocher à certains réalisateurs, fonctionne chez Tony Kaye. Une stylisation de chaque instant vient parsemer le film, de manières formelles et différentes. Ces expositions, lâchées par parcimonie, insufflent un tempo régulier au film. Certains stopperont net leur élan immersif, d’autres se laisseront porter par cette vague stylisée. Radicale de fond et de forme, Kaye ne laisse que de rare respirations visuelles, indispensables cependant tant son film baigne dans une marée noire et négative.
Cette lecture clinique d’un certain système scolaire outre-Atlantique donne le la d’un échec politique et social. Kaye est conscient d’appuyer là où le mal est facile à déceler, mais cette lecture presque documentaire n’en est que plus véridique par l’électrochoc qu’elle provoque ; même si radicale, elle est nécessaire, le spectateur comprend de lui-même l’essence même du film.
Mais Kaye n’est pas qu’un metteur en scène habité (et nombriliste ?), il donne à ses comédiens un espace de liberté immense et une direction de mise en scène soignée. Adrien Brody peut à nouveau exprimer son talent à la mesure du rôle qu’il doit composer. Comédien talentueux, il n’avait depuis des années pas de rôle à la mesure de son jeu. Il est ici en parfaite mesure de ce rôle de professeur « itinérant ». Personnage ne trouvant sa place ni intérieurement, ni formellement.
Le reste du casting jouant le jeu entre la performance et le caméo est éclectique et parfait. Les vieilles canailles adoubées, William Petersen, James Caan, Marcia Gay Harden, les stars de séries TV, Bryan Cranston, Christina Hendricks ; tous viennent contribuer à la photo de classe que tend à capturer Tony Kaye. Sous un aspect de film choral, chacun est vecteur d’un point particulier que Kaye tend à dénoncer.
Detachment n’est pas de ces films, consensuels, léchés, objectifs. Nous sommes plus du côté d’un miroir réflectif, où l’extrême démontre par sa force tendue, par sa mise en scène artistique et documentée, une volonté propre de dénoncer. Sans choquer, sans voyeurisme mais jusqu’au-boutiste Kaye provoque un mal être nécessaire dans ce genre de cinéma. On n’en ressort pas indemne, où l’on refuse ne serait-ce même que d’y entrer. Pour qui se laisse porter par cet élan, l’extrême devient nécessaire et donc utile.
http://requiemovies.over-blog.com/