Elle se balance, lentement, en grinçant, usée et vide, les gouttes de pluie s'abattant sur sa teinture se détériorant jour après jour. Autrefois filait-elle fièrement ? Entourée de cris d'enfants, d'un soleil frappant, et d'une insouciance d'une jovialité éternelle ? Ou bien n'était-ce qu'un rêve, une illusion dont on doit oublier l'existence pour ne pas regretter, pour ne pas sombrer ?
Plus aucun enfant ne s'assoie sur cette triste balançoire, plus aucun rayon de soleil ne vient la percuter. Bientôt ses va-et-vient cesseront. Bientôt ses liens céderont, ne créant rien d'autre que le déta-chement.
Detachment est un film qui décrit cette balançoire. Et cette balançoire est la société, l'enfant d'antan est notre père, notre frère, notre fils, nous. Et ces rayons de soleil ne sont rien d'autre que des souvenirs tronqués d'un passé jadis optimiste, jadis heureux, qui n'a plus lieu d'être, et qui ne l'a jamais eu. Cette solitude chronique que nous retrouvons chez chaque personnage, ce malêtre profond, cet isolement de l'âme, n'est en rien artificiel, peu crédible ou grossier, comme j'ai pu le lire ici ou là : il est humain. Terriblement humain.
Tony Kaye livre avec son film une traversée d'un désert vaste, où s'entremêlent papiers froissés et sable chaud, filant entre nos doigts, fuyant nos toits. Il n'y a pas d'Oasis dans ce désert, pas de gouttes à verser. Rien d'autre que des mirages du passé. À travers les yeux d'un professeur remplaçant, au trajet éphémère dans un lycée en perdition, on découvre une vision fatale et indubitable d'un système rouillé, qui se piétine le peu d'os qui lui reste. Avec une atmosphère sombre et noircie par des personnages éreintés, une ambiance de vide, d'assentiment, prend forme autour de nous. Mené par un discours poétique, parfois chaotique, parfois déprimant, parfois révoltant, on se situe quelque part dans cette salle, contemplant cette déchéance collective.
Le film aborde plusieurs thèmes, la famille et les terribles désillusions qu'elle peut apporter, l'image de soi et la difficulté à l'intégrer dans la société, la communication entre les individus, si nécessaire et pourtant si compliquée. Le tout étant glissé sous des personnages qui, aussi brèves puissent être leurs apparitions, se révèlent toujours marquants. Une vulgarité relationnelle se noue aussi, explosive et désespérée, résonnant comme des appels à l'aide d'un ensemble dévasté. Le discours pourrait paraître pessimiste, pourtant, il y a ce double destin, ces multiples destins plutôt, qui nous rappellent que tout ne dépend que du point de vue. Pour certains la descente est inévitable, pour d'autres c'est la pente qui se redresse d'elle-même, apportant son lot d'espoirs et d'opportunités. Finalement, le long-métrage se révèle doté d'un réalisme sobre et artistique, qui fait appel à notre fort intérieur pour vivre et penser auprès des personnages. La réussite est incontestable, le réalisateur sait s'y prendre, les acteurs y croient, les outils cinématographiques à disposition sont utilisés de manière exemplaire, et le discours n'en ressort que plus marquant.