La part des anges, c'est la partie du volume d'un alcool qui s'évapore durant son vieillissement en fût. Et puisqu'après "Carla Song", "My Name is Joe", "Sweet sixteen" et "Just a Kiss", Ken Loach a posé sa caméra en Ecosse (patrie de son scénariste Paul Laverty), et plus particulièrement à Glasgow la prolétaire de préférence à Edimbourg la rupine, il s'agira donc de whisky. Pour les bras cassés qui défilent devant le tribunal correctionnel dans la scène d'ouverture et qui vont se retrouver à repeindre des centres sociaux et nettoyer des cimetières, l'alcool n'est pas une découverte, certains d'entre eux lui devant même leurs ennuis judiciaires. Mais il s'agissait plus pour eux jusque là de bière ou d'alcools forts bon marché, et le whisky va rentrer dans leur univers grâce à Harry, leur éducateur.
Comme on est chez Ken Loach, la dimension culturelle et touristique cache forcément un aspect social, et si nous découvrons les secrets de la fabrication du whisky et les rites de sa dégustation, cela se fait en suivant des personnages clairement situés dans le contexte de la crise sociale qui frappe l'Ecosse industrielle. La scène d'ouverture du tribunal évoquée plus haut est d'ailleurs symptomatique du traitement de l'auteur de "Le Vent se lève" : la caméra reste fixée sur les accusés alors que la voix du procureur égrène hors champ la liste de leur menus larcins, symbolisant d'avantage l'exclusion de leurs propres vies.
Comme souvent chez Ken Loach, de "Land and Freedom" à "The Navigators", la solidarité du groupe permet de résister à la violence qui frappe ces paumés. Et comme souvent aussi, malgré le parti pris évident du réalisateur, il n'y a pas de manichéisme, juste la démonstration de mécanismes qui broient les hommes. Ainsi Robbie nous est montré alors qu'il a engagé sa rédemption pour garder sa femme et son fils, et nous ne pouvons qu'avoir de la sympathie pour les efforts qu'il fait pour échapper aux conséquences de ses actes passés. Mais sa violence n'est pas occultée, et plutôt que de nous la montrer, on l'évoque à travers une scène où Robbie et sa compagne rencontrent sa victime et sa famille dévastée par l'irruption de cette brutalité, fournissant ainsi l'occasion de décrire la difficulté de Robbie à assumer sa honte et à exprimer ses remords. Et comme souvent encore chez Loach, le personnage fort se révèle être une femme, en l'occurence sa compagne.
Film moral sans être moralisateur, "La Part des Anges" reste quand même une oeuvre de celui qui a célébré le droit à la révolte, et nos héros vont s'en sortir en dehors de la stricte légalité, en prélevant leur part des anges dans une barrique de whisky à plus d'un million de £. Cette quote-part retenue sur la démesure de la loi du marché respecte la morale de Ken Loach : on ne détruit pas un trésor du patrimoine écossais, on ne fait même que l'exalter en prélevant cet impôt révolutionnaire. Et puis surtout, cela donne matière à des situations cocasses, du fait de l'irruption de ces pieds nickelés dans le monde feutré des aristocrates du whisky.
Certains critiques évoquent la comédie italienne des années 60 et 70, et ce n'est pas faux. On tretrouve en effet la même capacité à passer du rire à l'émotion, la même place accordée à la truculence parfois un peu exagérée des personnages, le même goût des dialogues frisant par moments l'absurde. Tout le savoir faire, et toute la sincérité du grand Ken Loach permettent ainsi d'habiller une coque un peu vide et de camoufler des ellipses dommageables (comme le traitement juste effleuré du personnage de l'éducateur). Reste donc une fable sociale mineure dans l'oeuvre de Ken Loach mais agréable à déguster, même si à l'heure d'évaluer la finale, celle-ci apparaît quand même assez courte.
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